Les confusions du calendrier julien

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Plusieurs calendriers juliens ?

Je regarde mon calendrier de La Poste et je me dis que le début de notre ère était le 01/01/01 du même calendrier. Quelle était la date de Pâques l'année de la mort de César ? Est-il bien mort le mercredi 15 mars -43 ? Ou était-ce en -44 ? Et, pour finir, une question posée par Jean Lefort : "Cervantes et Shakespeare sont morts tous les deux à la même date, le 23 avril 1616. Lequel est mort le premier ?". Sans tenir compte de l'heure, bien entendu.

De quoi s'y perdre, non ? Bien que cette confusion aille bien au-delà des calendriers romain et julien, nous allons nous en tenir à cette longue période qui nous mène entre Romulus et l'après César.

Les grandes périodes

Ceux qui «inventent» une ère, que ce soit lors de la création d'un nouveau calendrier ou simplement d'une nouvelle «époque» (point de départ d'une nouvelle chronologie) la font souvent remonter à une date bien antérieure à celle de la «découverte». Et, pour positionner le début de cette ère nouvelle, ils la donnent par rapport au début d'une ère plus ancienne encore. Et quand ce changement d'ère ne se fait pas à l'occasion de la création d'un nouveau calendrier, son époque est donnée dans le calendrier en vigueur au moment du changement d'ère.

C'est ainsi que le calendrier julien date, de part Denys le Petit, de 532 de l'ère chrétienne (ou Anno Domini ou AD) de ce même calendrier julien. Denys le Petit a fait commencer cette ère (an 1 puisque le zéro n'était pas connu) en l'an 753 de la Fondation de Rome. Notons que certains penchent pour 754... sans qu'on sache qui a vraiment raison. Denys le Petit n'est plus là pour nous le dire. Le calendrier julien tel que nous le pratiquons encore quelquefois (nous verrons dans quelles conditions) date donc de 532 ap. J.-C. Et si on considère que son usage a définitivement cessé en 1922, année à laquelle il fut abandonné par l'Église Orthodoxe Grecque, on peut dire que son usage devrait se limiter à 532-1922 pour la plus grande période possible. Bien entendu, la date de fin est celle de l'adoption du calendrier grégorien dans le pays considéré.

Mais il existe un autre calendrier julien. On pourrait dire le vrai calendrier julien, celui qui date de la réforme de Jules César et qui, lui, compte les années en années A.U.C. (Ab Urbe Condita) dont l'époque correspondrait à la fondation de Rome. Selon Varron, historien mort en 27 av J.-C. du calendrier julien type «ère chrétienne», cette fondation remonterait au 21 avril 753 av. J.-C. du calendrier julien type «ère chrétienne» qu'on fait coïncider avec l'année 754.

Dans cette ère A.U.C., le calendrier réformé par César a débuté en l'an 709 si on oublie l'année 708 qui fut l'année de transition, aussi appelée année de confusion dont nous reparlerons dans la seconde partie de cette page.

Pour être précis, comme nous le verrons aussi dans la seconde partie, une certaine confusion (encore une) a régné durant les premières décennies de ce calendrier réformé de César à cause de la distribution des années bissextiles. Le calendrier julien tel que le voulait César n'a donc vu le jour qu'en 753 ou 757 A.U.C. selon les hypothèses.

Notre dénomination actuelle calendrier julien recouvre donc deux calendriers, l'un dans l'ère de Rome, l'autre dans l'ère chrétienne. Si on y ajoute le fait que, durant tout le Moyen Âge, on parlait toujours d'Ides, de Calendes et de Nones, la notion de calendrier julien recouvre donc au moins trois calendriers.

Autre confusion : l'ère A.U.C. était-elle connue des Romains du temps de César et antérieurement ?

Rien n'est moins sûr.

Comme nous l'avons vu, c'est une invention de Varron en vue de dresser une chronologie de l'histoire romaine.

Lisons à ce sujet ce qu'écrit Théodore Mommsen dans son Histoire romaine Livre II, chapitre IX

Photo de Theodor Mommsen
Photo de Theodor Mommsen © New York Public Library

THEODOR MOMMSEN (1817-1903)
Historien allemand de l’Antiquité, Theodor Mommsen est originaire de l’État du Schleswig-Holstein, où son père était pasteur.

Mommsen laissa derrière lui une œuvre vraiment monumentale dont beaucoup de parties ont surmonté l’épreuve du temps. Son Histoire romaine (Römische Geschichte), qu’il a menée jusqu’à la mort de César, est une œuvre maîtresse ; publiée en trois tomes à Breslau, de 1854 à 1856, complétée par un dernier tome publié à Berlin en 1886, elle connut plusieurs rééditions et traductions en diverses langues. Le Droit public romain (Das römische Staatsrecht, 1871-1888) et le Droit pénal (Das Strafrecht, 1899) sont deux admirables synthèses. Extraits de Encyclopædia Universalis

"Il n'y a point chez les Romains d'ère de computation adoptée par l'usage commun. Pourtant, en matière de choses sacrées, on calcule à dater de la consécration du temple de Jupiter Capitolin, qui sert aussi de point de départ aux listes de magistratures. [...] Il est un fait certain, c'est que les tables des pontifes portaient inscrite l'année de la fondation de Rome. Et tout nous porte à croire que, quand, vers la première moitié du V ème siècle, les collèges de pontifes, voulut écrire un véritable et plus utile annuaire, il plaça tout d'abord en tête l'histoire, inconnue jusque-là, des rois de Rome, et celle de leur chute. Puis, comme il reportait la fondation de la République au 13 septembre 245, jour de la consécration du temple de Jupiter Capitolin, il fit ainsi concorder (mais ce n'était là que vaine apparence), et la chronologie des annales, et les faits sans date antérieurs à l'histoire."

Pour résumer, les Romains ne connaissaient que l'ère capitolienne (ou capitoline) ou la suite des règnes consulaires. Et, pour se constituer une chronologie plus sérieuse, ils s'inventent longtemps plus tard une ère A.U.C. en «meublant» les trous entre A.U.C. et ère capitoline (époque : 13 septembre 509 av. J.-C. julien ou 245 A.U.C.) par certains faits ou certains rois comme Numa Pompilus, Ancus Marcius, Tullus Hostilius... dont on ne sait plus s'ils appartiennent vraiment à l'histoire ou à la légende.

D'où les difficultés que nous avons vues en détail dans la page consacrée aux calendriers romains pré-juliens de dresser une histoire des calendriers entre la fondation présumée de Rome et la réforme de Jules César.

Le calendrier julien prolongé

Une caractéristique importante du calendrier julien est sa stabilité. Trois années de 365 jours, une année de 366 jours. Contrairement au calendrier grégorien, il ne voit pas supprimer des années bissextiles.

D'où l'intérêt pour les astronomes de pouvoir l'utiliser en dehors de sa période même d'existence «légale». Plus facile à lire que le jour Julien, il permet d'établir l'ancienneté d'événements les uns par rapport aux autres.

On prolonge donc souvent le calendrier julien en amont de 532 du même calendrier («calendrier proleptique» du grec prolepsis anticipation) et en aval de l'adoption du calendrier grégorien dans le pays dont on parle.

Mais encore faut-il le dire !! Sinon, on ne sait plus à quoi correspondent les dates qui sont données.

Zéro et années négatives

Nous avons déjà parlé longuement de ce problème d'années négatives ici.

Pour résumer, le calendrier julien natif avec ses années comptées dans l'ère chrétienne n'a pas d'année zéro. On passe directement de l'an -1 à l'an 1.

Mais, dans ce cas, on perd le bénéfice, pour les années négatives, de la divisibilité des années bissextiles par 4. Pour garder cet avantage, les astronomes (invention due à l'astronome Jacques Cassini) ont instauré une année zéro qui correspond à l'an 1 av. J.-C.

Une règle voudrait que les dates écrites avec av. J.-C ou BC n'aient pas d'année zéro, alors que les dates écrites avec le signe moins en aient une. Malheureusement, cette règle n'est pas toujours respectée. Là aussi, il faut le dire !! an -4 notation des astronomes signifie qu'il y a une année zéro. -4 notation des historiens signifie qu'il n'y a pas d'année zéro. L'autre possibilité, comme je le signalais dans la page évoquant ce problème serait de noter les premières ~4 et les secondes -4. Jean Lefort utilise cette notation et le précise. Il semble aussi que ce soit une option prise dans le Petit Robert 2. L'inconvénient est que ~ signifie aussi quelquefois «environ».

Peu importe d'ailleurs la convention utilisée. Mais ceux qui sont amenés à utiliser des dates négatives devraient annoncer clairement la couleur : années négatives avec ou sans année zéro, calendrier untel ou untel quand la date donnée n'est pas dans le calendrier en vigueur à cette époque.

Tableau récapitulatif

Au risque d'être illisible, ce tableau ne tient pas comptede tous les avatars (modifications du calendrier romain, années de confusion du calendrier julien...) subis par les différents calendriers à différentes époques.

Notons aussi que, dans un pays considéré, la fin du calendrier julien correspond en général avec l'adoption du calendrier grégorien.

Ère A.U.C. Ère Chrétienne Année A.U.C. Année julienne (historiens) Année julienne (astronomes) Observations
Romain
archaïque
Julien
proleptique
av. J.-C.
Grégorien
proleptique
1 754 av. J.-C. - 753 Ab Urbe Condita
Julien 709 45 av. J.-C. - 44 Réforme de César
753 1 av. J.-C. 0 Selon le type de notation, cette année est 0 ou 1
Julien
proleptique
ap. J.-C.
1 ap. J.-C. 1 La notation n'a plus d'importance
Julien 532 ap. J.-C. 532 Denys le Petit "invente" l'ère chrétienne
Grégorien 1582 1582 Variable selon la date d'adoption du calendrier grégorien dans le pays considéré
1922 1922 Fin du calendrier julien dans l'Église Orthodoxe grecque
Julien
"prolongé"
2005 2005 A suivre...

Autour de l'année de confusion

Convenons, pour la suite de cette partie, d'appeler julien le calendrier tel que le pratiquent les historiens (calendrier julien proleptique sans année zéro) et romain le calendrier tel qu'il était connu avant et du temps de César et d'Auguste.

D'autre part, cette étude n'étant qu'un zoom sur une partie du calendrier romain, nous supposons connue son histoire avant César et après César.

Enfin, je voudrais rendre hommage au colossal et magnifique travail de Chris Bennett sur la chronologie Romaine. Son site, très technique, est ici. Nous essayerons de rendre ses constatations et interprétations plus abordables.

Les questions que nous allons nous poser sont les suivantes :

  1. L'année de confusion : quelle était sa construction ? Combien de jours comptait-elle ?
  2. Les années bissextiles de César à la réforme d'Auguste : combien et quand ?

L'année de confusion

Auteurs des sources
Caius Suetonius Tranquillus (Suétone) env. 70 - env 140 historien latin
Dion Cassius 115 - env. 235 Historien grec
Consul en 220 et 229
Censorinus (Censorin) env. 240 Grammairien romain
Ambrosius Theodosius Macrobius (Macrobe) IV ème - V ème Ecrivain latin

Quelle fut la longueur et la structure de l'année dite «de confusion» 708 A.U.C. qui précéda le début du calendrier romain de César en 709 A.U.C. ?

Macrobe Saturnales 1.14.3 : César, voulant donc entreprendre une nouvelle réglementation de l'année, laissa d'abord s'écouler tous les jours qui pouvaient encore produire de la confusion : ce qui fit que cette année, la dernière de l'état de désordre, s'étendit à quatre cent quarante-trois jours. Après cela, à l'imitation des Égyptiens, les seuls peuples instruits de l'économie céleste, il s'efforça de modeler l'année sur la révolution du soleil, laquelle termine son cours dans l'espace de trois cent soixante-cinq jours et un quart.

«Cette année», comme l'écrit Macrobe, c'est l'année 708 A.U.C.. Et on constate que c'est à lui que l'on doit la désignation de cette année sous l'expression «année de confusion» ou «année du désordre».

Macrobe nous apprend aussi que cette année aurait compté 443 jours.

Suétone (vie de Jules César 40) va nous en dire un peu plus sur la composition de cette année :

Pour que ce nouvel ordre de choses pût commencer avec les calendes de janvier de l'année suivante, il ajouta deux autres mois supplémentaires, entre novembre et décembre, à celle où se fit cette réforme ; et elle fut ainsi de quinze mois, avec l'ancien mois intercalaire, qui, selon l'usage, s'était présenté cette année-là.

Il nous apprend que :

  1. L'année suivante (709 A.U.C.) débutera en janvier. Le début de l'année traditionnelle passera donc de mars à janvier.
  2. Deux mois sont ajoutés à l'année 708 A.U.C. entre novembre et décembre (Int. prior et Int. posterior).
  3. Un mois intercalaire «ancienne méthode» (22 jours entre le 23 et 24 février ou 23 jours entre le 24 et le 25 février) aurait été ajouté cette année là (cette fois, il s'agit de l'année de magistrature consulaire qui commence en janvier) qui compta donc 15 mois.

Quelle a été la longueur de ce mois intercalaire ? Quelle a été la longueur des deux mois ajoutés entre novembre et décembre ?

C'est Censorin, dans son jour natal (20.8) qui va répondre aux deux questions tout en faisant naître un doute :

Et tel fut le résultat de cette confusion, que C. César, souverain pontife, voulant, sous son troisième consulat et sous celui de M.Émilius Lepidus, revenir sur cette erreur et la réparer, dut placer entre le mois de novembre et celui de décembre deux autres mois intercalaires de soixante-sept jours, bien qu'il eût déjà intercalé vingt-trois jours en février ; ce qui fit que cette année fut de quatre cent quarante-cinq jours. Il pourvut en même temps à ce que pareille erreur ne se présentât plus à l'avenir ; car, ayant supprimé le mois intercalaire, il établit l'année civile d'après le cours du soleil.

Il nous apprend que :

  1. La durée des deux mois entre novembre et décembre est au total de 67 jours. Comment ont-ils été distribués sur les deux mois ? Mystère.
  2. Le mois intercalé en février compte 23 jours.
  3. L'année civile est calée sur le cours du Soleil. Sosigènes avait, en effet, selon ses calculs, placé l'équinoxe de printemps au «25 mars»

Notons au passage que 67 jours = 22 + 22 + 23. Certains avancent que cela correspondrait à trois mois intercalaires «oubliés» par César les années antérieures alors qu'il était Pontife.

Le doute, c'est que Censorin dit que l'année a compté 445 jours alors que Macrobe a dit 443 jours. Qui a raison ? Où est l'erreur si erreur il y a ?

Dion Cassius (43.26) confirme les 67 jours entre novembre et décembre : "Comme les jours des années ne concordaient pas bien ensemble, César introduisit la manière actuelle de compter, intercalant 67 jours nécessaires pour rétablir la concordance".

L'ancienne année romaine normale comptant 355 jours, si nous y ajoutons un mois intercalaire et les 67 jours entre novembre et décembre nous devrions avoir soit 355 + 22 + 67 = 444 jours soit 355 + 23 + 67 = 445 jours. En tout cas, pas 443 jours.

Macrobe se serait donc trompé de 2 jours. Notons que si l'année «traditionnelle» existait encore (l'année consulaire commençait déjà début janvier depuis 601 A.U.C.), elle compta en 707 A.U.C. de mars à décembre 31 + 29 + 31 + 29 + 31 + 29 + 29 + 31 + 29 + 67 + 29 = 365 jours soit la longueur de la future année julienne.

Les années bissextiles de la reforme de césar a celle d'auguste

Sources complémentaires pour cette partie
Caius Julius Solinus (Solin) Milieu III ème Ecrivain latin
C. Plinius Secundus (Pline le Naturaliste ou l'Ancien) 23 - 79 Historien latin

Comme avant la réforme de César, ce fut à des hommes instruits dans les sciences des mesures et écritures, en un mot aux pontifes, que fut confié le soin d'intercaler les années bissextiles. Ils avaient été particulièrement nuls dans cette tâche avant César et le furent tout autant après.

En effet, au lieu d'intercaler tous les quatre ans, ils le firent tous les trois ans. Et comme César mourut le 15 mars 44 av J.-C. de quelques coups de poignard, il n'était plus là pour le leur faire remarquer. Et comme Sosigènes... Tiens ? Où donc était passé Sosigènes ?

Et comme Auguste mit quelques années à réagir, les choses durèrent quelques décennies. Voyons cela de plus près.

C'est Macrobe qui va nous en apprendre le plus sur ces années :

Saturnales 1.14 : César ayant ainsi organisé la division civile de l'année, qu'il mit en concordance avec les révolutions de la lune, en fit la promulgation publique par un édit. L'erreur aurait pu s'arrêter là, si les prêtres ne s'en étaient pas formé une nouvelle de la correction même. Mais tandis qu'il aurait fallu n'intercaler le jour produit par les quatre quarts de jours qu'après quatre années révolues, et avant le commencement de la cinquième, eux intercalaient, non après, mais au commencement de la quatrième année. Cette erreur dura trente-six ans, durant lesquels on intercala douze jours, tandis qu'on n'en aurait dû intercaler que neuf. Mais on s'en aperçut enfin, et Auguste la corrigea, en ordonnant de laisser écouler douze ans sans intercaler ; afin que ces trois jours surnuméraires, produits par la trop grande hâte des prêtres durant trente-six ans, se trouvassent consommés par les douze années suivantes privées d'intercalation. Au bout de ce terme, il ordonna qu'on intercalât un jour au commencement de chaque cinquième année, comme César l'avait réglé; et il fit graver l'ensemble de cette division de l'année sur une table d'airain, pour la conserver à perpétuité.

D'autres sources sont moins intéressantes :

Pline l'Ancien Histoire naturelle XVIII LVII : [...] Et ce calcul même, où l'on découvre une erreur, a été corrigé : pendant douze années consécutives on ne fit pas d'intercalation, attendu que l'année, qui auparavant anticipait, maintenant retardait sur les astres.

Solin De mirabilibus mundi I : [...] mais il se commit encore une erreur due aux prêtres. On leur avait, en effet, recommandé d'intercaler un jour à la quatrième année. Cette intercalation devait avoir lieu à la fin de cette quatrième année, et avant l'inauguration de la cinquième ; or, elle eut lieu au commencement de la quatrième et non à la fin : ainsi au lieu d'intercaler neuf jours pour trente-six ans, on en intercala douze. Cette erreur fut corrigée par Auguste, qui prescrivit de laisser passer douze ans sans intercalation, pour faire disparaître par compensation ces trois jours ajoutés à tort aux neuf jours nécessaires. Telle est la base sur laquelle fut établie désormais la supputation de l'année. Cette réforme et bien d'autres choses appartiennent au temps d'Auguste.

Pline est très vague et il y a guère de différences entre les textes de Solin et Macrobe.

Si, à première lecture, le texte de Macrobe semble clair et précis, il suscite à l'examen plusieurs interrogations. Prêts pour une petite analyse de texte ?

1) Les erreurs d'intercalation

1-a) ce qui est certain
1-b) Les interrogations

2) Les corrections

2-a) ce qui est certain
2-b) Les interrogations

Selon qu'on interprète le texte de Macrobe et selon les réponses données aux différentes interrogations, on en arrive à des schémas différents de jours intercalés et de jours bissextes omis pour la période de près de 50 ans qui suit la réforme de César.

C'est ainsi que Chris Bennett en recense six qui sont dus à Scaliger (1583), Kepler (1614), Ideler et Mommsen (1859), Matzat (1883), Soltau (1889), Radke (1960).

Nous allons résumer le schéma de chacun dans un tableau en ajoutant Chris Bennett lui-même qui y va de son propre schéma. Je tiens à remercier Chris Bennett pour m'avoir aidé à reconstituer l'ensemble de ce tableau et pour ses précieux conseils et explications.

Dans le tableau qui suit B symbolise une année bissextile «normale», Mx (x = chiffre) les années bissextiles comprises dans les 36 ans dont parle Macrobe, S une année bissextile omise. Les plages jaunes représentent une période de 12 ans, les plages bleues une période de 36 ans, la plages rouge une période de 11 ans et la plage verte une période de 12 ans de date à date.

A.U.C. Julien 1583 1614 1859 1883 1889 1960 2004 Observations schéma Bennett
Scaliger Kepler Mommsen Matzat Soltau Radke Bennett
708 46 année de 445 jours
709 45 B M1 M1
710 44 M1 B Année bissextile
711 43 M1
712 42 M1 **B** prévue M1 M2
713 41 M2 M2 M1 Première année d'erreur
714 40 M2
715 39 M2 M2 M3
716 38 M3 M3 M2
717 37 M3
718 36 M3 M3 M4
719 35 M4 M4 M3
720 34 M4
721 33 M4 M4 M5
722 32 M5 M5 M4
723 31 M5
724 30 M5 M5 M6
725 29 M6 M6 M5
726 28 M6
727 27 M6 M6 M7
728 26 M7 M7 M6
729 25 M7
730 24 M7 M7 M8
731 23 M8 M8 M7
732 22 M8
733 21 M8 M8 M9
734 20 M9 M9 M8
735 19 M9
736 18 M9 M9 M10
737 17 M10 M10 M9
738 16 M10
739 15 M10 M10 M11
740 14 M11 M11 M10
741 13 M11
742 12 M11 M11 M12
743 11 M12 M12 M11
744 10 M12
745 9 M12 M12 S
746 8 S1/2 M12 dernière année bissext. cycle 3 ans
Première année réforme d'Auguste
747 7
748 6
749 5 S S S S1 S S S
750 4 S2
751 3
752 2 S
753 1 S S S S1 S S
754 1 S2
755 2 S
756 3
757 4 S S S B S B B 1 ère année bissext. cycle de 4 ans
758 5
759 6
760 7
761 8 B B B B B B B

Quelques commentaires

Notons au passage que Mommsen a interprété ce texte autrement et a considéré que Dion Cassius parle de l'année précédent 713 A.U.C. soit 712 A.U.C.

En ce qui concerne les 12 ans de suppression, il compte ces années de date à date (des calendes de janvier 8 av. J.-C.aux calendes de 4 ap. J.-C.) sans toutefois considérer l'année de la réforme d'Auguste (746 A.U.C.) comme bissextile.

Matzat ne disant pas où il place les années bissextiles supprimées dans la réforme d'Auguste, les hypothèses à ce sujet sont notées S1 et S2 dans le tableau.

Sans entrer dans les détails, reproduisons les grandes lignes du schéma de Bennett :

  1. D'un papyrus (pOxy 61.4175) dont l'analyse a été publiée en 1999 et d'un décret de Paullus Fabius Maximus (iPriene 105 = OGIS 458) on peut déduire que la dernière année bissextile du dernier cycle triennal est l'année 746 A.U.C.. et que la première année bissextile julienne «vraie» est l'année 757 A.U.C.
  2. Les jours complémentaires omis par Auguste le sont dans un cycle triennal et la première année bissextile vraie (d'un cycle quadriennal) est la 12 ème année de la réforme d'Auguste.
  3. De Dio Cassius 48.33.4, il ressort que la première «mauvaise année» fut 713 A.U.C.
  4. 710 A.U.C. fut-elle une année bissextile ?

Dio Cassius (48.33.4) dit que prid. Kal. Jan. 713 A.U.C. fut un jour de marché et que (40.47) Kal. Jan.702 A.U.C. fut aussi un jour de marché.

702 A.U.C. fut une année bissextile avec 23 jours ajoutés soit une année de 378 jours. De 703 inclus à 707 inclus, il n'y eu pas d'années bissextiles ce qui nous fait 5X 355 = 1775 jours. L'année de confusion, elle, dura 445 jours. Si nous comptons 365 jours dans l'année 713 pour arriver aux prid. Kal. Jan. et 4 X 365 pour 708 inclus à 711 inclus, nous en arrivons à un total de

378 + (5 X 355) + 445 + (4 X 365) + 365 = 4423 jours. 4423 n'est pas divisible par 8 (le jour de marché avait lieu tous les 8 jours).

En revanche, si nous considérons que 710 A.U.C. fut une année bissextile nous en arrivons à 4424 jours multiple de 8.

Ce schéma est-il le bon ?

Il suppose que l'année de confusion avait bien compté 445 jours et que Censorin se serait trompé.

Il suppose aussi que Macrobe, Pline et Solin auraient confondu «douze ans» et «jusqu'à la douzième année».

Je vous laisse vous faire votre propre opinion.

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