Les divisions du jour

Il n'y a jamais, en histoire, de commencement avec un grand «C».
Il n'y a que des développements, des croisements, des séparations,
des oublis, des retrouvailles.
Jean Bottéro - Spécialiste de la Mésopotamie ancienne.

En guise d'introduction

Nous pouvons comprendre pourquoi l'année compte 365 jours parce que c'est la durée approximative d'une révolution de la Terre autour du Soleil.

Nous pouvons comprendre pourquoi le mois compte 29 ou 30 jours parce que c'est la durée approximative d'une révolution de la Lune autour de la Terre. Et nous voyons, au travers des différents calendriers de ce site, que la durée des mois peut être aménagée.

Nous savons ce que c'est qu'un jour : c'est la durée d'une apparente révolution du Soleil autour de la Terre qui n'est en fait que la durée d'une rotation de la Terre sur elle-même.

Mais pourquoi le jour compte-t-il 24 heures, l'heure soixante minutes et la minute soixante secondes ? En nous posant ces questions, nous nous heurtons au même problème que lorsque nous nous sommes demandé pourquoi la semaine compte sept jours.

Pour tenter de répondre à cette question, nous allons effectuer un voyage dans le temps et suivre l'évolution du nombre d'heures dans un jour depuis les périodes les plus anciennes. Partant de là, nous nous garderons bien de conclure au fait que nous devons notre découpage actuel de la journée à telle ou telle civilisation en nous souvenant le la phrase de Jean Bottéro. Les courants d'influence sont tels qu'il nous est bien impossible de les reconstituer avec certitude.

Mais, avant de commencer notre enquête, nous allons bien nous entendre sur le contenu de certains des mots que nous allons employer. Sinon, nous risquons de tout confondre et de ne pas parler des mêmes choses.

Le sens que nous allons donner aux mots

Outre l'avantage d'être certains de donner à chaque mot la même signification, les définir va nous permettre de constater déjà un certain nombre de faits qui ne vont pas si «de soi» qu'on peut le penser à priori.

Le jour

A) Nous allons considérer le jour comme étant la moyenne des intervalles de temps qui séparent deux levers, deux couchers ou deux passages du Soleil au méridien d'un lieu. Il correspond, grosso modo au jour civil ou au jour moyen des astronomes. Notons que, pour les astronomes, le jour solaire moyen commence à midi alors que notre jour civil actuel commence à minuit. Ce «jour» tel que nous venons de le définir correspond à ce que les Grecs nommaient nycthémère. (de nux-nuctos qui veut dire nuit et de hemera qui veut dire jour).

Précisons tout de même, pour éviter de nous faire tomber dessus par les astronomes, que la durée du jour solaire vrai n'est pas la même selon qu'on le fait commercer au lever, au coucher ou au passage au méridien du Soleil. Par exemple, entre le 01/08/2003 et le 02/08/2003, selon les valeurs des éphémérides données par le Bureau des longitudes, la durée du jour était :

Jour Lever Passage au méridien Coucher
01/08/2003 4 h 24 m 52 s 11 h 57 m 01 s 19 h 28 m 17 s
02/08/2003 4 h 26 m 12 s 11 h 56 m 57 s 19 h 26 m 49 s
Durée du jour 24 h 1 m 20 s 23 h 59 m 56 s 23 h 58 m 32 s

Mais ce n'est qu'une observation au passage puisque notre but est moins de constater des différences de quelques minutes que de savoir pourquoi il y a 24 heures dans un jour.

À ce sujet, posons-nous une autre question : doit-on dire qu'il y a 24 heures dans un jour ou 2 fois douze heures ? Parce qu'enfin, nos montres, réveils ou horloges (analogiques) n'ont-elles pas des cadrans à douze chiffres ? Qui ne s'est pas entendu dire «il est 4 heures 20» au lien de «il est seize heures 20» ?

Si nous nous souvenons encore très bien du bug de l'an 2000, nous savons moins que 1900 a connu aussi son séisme. Lisons donc ce qu'écrit un chroniqueur, Henri de Parville, dans le journal scientifique La Nature de 1898 : "Les journaux ont annoncé qu'à partir de 1900 le jour civil ne sera plus comme précédemment partagé en deux parties de douze heures chacune, heures dites du matin et du soir. Ils se fondaient sur cette remarque que cette année, d'après les tables publiées par l'Annuaire du Bureau des longitudes, les jours commencent à minuit comme par le passé, mais se comptent de 0 à 24 heures…. On irait se promener à 15 heures, on s'inviterait à dîner pour 19h30, etc. Quel bouleversement dans nos meurs ! Et les cadrans de montres, et les sonneries d'horloges ? Aura-t-on la patience d'entendre sonner 23 h ? "

Et, comme pour se rassurer, Henri de Parville ajoute plus loin dans son article "Le Bureau des longitudes n'a pas qualité pour changer nos heures. Il faut une loi. Il y a bien eu déjà un projet de loi déposé à la Chambre pour l'adoption de la numérotation continue de 0 à 24 h. Mais, comme souvent, ce projet est resté dans les cartons… La réforme est à l'état d'attente partout ailleurs. N'allons donc pas trop vite en France, et rassurons ceux qu'avait un peu émus la nouvelle prématurée du changement de nos heures séculaires."

La nouvelle resta donc prématurée… 15 ans puisque la réforme tant crainte eut lieu en fin de compte suite à une loi du 9 mars 1914 par laquelle la France adhéra au système de fuseaux horaires et adopta la division du jour en 24 heures.

Et on continue à dire souvent «il est 4h20» au lieu de «il est 16h20». Si le passage à l'euro prend autant de temps, on risque d'entendre encore longtemps parler de francs.

Pour en terminer avec ce sujet, regardons la définition de l'heure dans différentes éditions du Dictionnaire de l'Académie:

Sixième édition - 1835 "HEURE : espace de temps qui fait la vingt-quatrième partie du jour naturel. On divise ordinairement le jour en deux parties, de douze heures chacune, la première commençant à minuit, et la seconde à midi".

Huitième édition - 1932 "HEURE : espace de temps qui fait la vingt-quatrième partie du jour naturel. On divisait généralement le jour en deux parties, de douze heures chacune, la première commençant à minuit, et la seconde à midi". L'usage tend à s'introduire de numéroter les heures de 0 à 24, en commençant à minuit."

Neuvième édition - En cours d'élaboration - volume 1 sorti en 1992 - volume 2 sorti en 2000. " HEURE : Espace de temps correspondant à la vingt-quatrième partie du jour."

B) Nous appellerons journée l'intervalle de temps qui va du lever au coucher du Soleil.

C) Nous appellerons tout naturellement nuit l'intervalle de temps qui va du coucher au lever du Soleil.

Tout naturellement ? Comme si on passait brusquement de la nuit à la journée dès que l'on commence à voir le Soleil. Comme si on passait brusquement de la journée à la nuit dès qu'a disparu le Soleil. Et tout ce temps au cours duquel on commence à y voir clair sans voir le Soleil ? Et tout ce temps où ce ne sont pas les ténèbres bien que le Soleil ait disparu ? Et bien, tous ces instants sont définis par un bon nombre de mots :

À noter que crépuscule, au XVIe siècle, concernait le coucher du Soleil et non son lever.

En fin de compte, en y réfléchissant bien, il n'existe qu'un seul moment qui puisse être clairement défini dans un jour. C'est le moment où l'ombre du gnomon (voir la page sur les instruments de mesure) est la plus courte, c'est à dire celle où le soleil passe au méridien et où il est au plus haut dans le ciel de la journée : le midi vrai. Ce qui nous amène à diviser notre journée telle que nous venons de la définir en matin et après-midi.

Euh... ai-je donné l'origine du mot jour ? Non ? Cela ne m'étonne pas parce que ce n'est pas évident que jour vient du latin dies. Et voilà !! Vous voulez maintenant en savoir plus. Et comme je m'en voudrais de ne pas satisfaire votre curiosité, je vais tout vous dire.

À l'origine de dies (également de dieu d'ailleurs), il y a une racine indo-européenne qui est dei et qui exprime la clarté ou la brillance. On la retrouve encore dans nos jours : lundi, mardi... et même dans midi. On trouve comme synonyme de dies le mot du bas latin (du IIIe au V ème siècle) diurnum. En perdant son d, diurnum est d'abord devenu jorn (X ème siècle), puis jur (XIe siècle) et enfin jour au XIIIe siècle. Et pour vous fâcher définitivement avec l'étymologie, je vous signale que Jupiter (le nom de la planète) vient de die pater ou jur-pater qu'on peut donc traduire par "dieu de la lumière du jour". Voilà qui vous éclaire, non ? Donc, le jour et Dieu sont... cousins.

L'heure

Avec le mot «heure», nous mettons le doigt sur un mot qui va empoisonner notre lecture tout au long de cette page.

A) D'abord parce qu'il va nous falloir distinguer entre l'heure «durée» et l'heure «instant». Là, c'est relativement facile et nous nous en sortirons facilement.

B) Mais surtout parce qu'il va nous falloir faire une distinction fondamentale entre les heures temporelles (ou inégales) et les heures équinoxiales (ou égales). Nous découvrirons au fil de notre étude ce que recouvrent précisément ces mots. Pour faire simple, sachons pour le moment que les heures équinoxiales ont la même durée tout au long du jour et tout au long de l'année. Les heures temporelles n'entrent pas dans cette description.

Heure provient du grec «hôrai» qui a donné «horae» en latin. Les Hôrai étaient des déesses, mineures, mais bienfaisantes de la mythologie grecque, qui personnifiaient des phénomènes naturels avant de symboliser les saisons vers le IVe siècle avant J-.C. Dans la Rome latine, au nombre de douze, elles sont les compagnes de la déesse Aurore qui les place dans le ciel à intervalles réguliers pour guider le char du dieu Soleil.

La division du jour en 24 heures

Divisions du jour babylonien

C'est en Mésopotamie qu'il faut aller chercher une division du jour (de la journée ?) en 12 ou 24 heures. Certainement chez les Babyloniens et même chez les Sumériens. Souvenons-nous que les Sumériens arrivent en Mésopotamie vers 4 200 av. J.-C. qu'ils commencent à connaître l'écriture vers 3 000 av. J.-C. avant qu'elle ne devienne d'usage courant vers 2 700 av. J.-C. et qu'ils connaissent les équations du second degré en 2 000 av. J.-C. L'Emprire babylonien, lui, voit le jour vers 1 900 av. J.-C.

Pourquoi 12 ou 24 pour une civilisation qui est connue comme utilisant la numérotation sexagésimale (base 60 sur laquelle nous reviendrons) ?

Parce que cette base 12 ainsi que ses multiples et diviseurs jouait, chez les Sumériens et les Babyloniens, un rôle prépondérant dans pratiquement toutes les mesures comme on peut le constater dans les quelques exemples suivants :

N'oublions pas non plus qu'en inventant le zodiaque, au VIe siècle av. J.-C., les Babyloniens, l'avaient divisé en 12 parties. Notons au passage que cette division s'est faite sur le plan de l'écliptique et non sur le plan équatorial ce qui prouve l'avancée des connaissances astronomiques des Babyloniens

Rien d'étonnant, donc, à ce que la civilisation mésopotamienne ait utilisé le système duodécimal pour diviser le jour.

Tablette datant de 3000 av. J.-C. trouvée à Uruk révélant l'existence de bases autres que la base vigésimale. Ref : ATU 2, tabl. W 22 114. Bagdad, Iraqi Museum. Image extraite de l'histoire universelle des chiffres de G. Ifrah

Mais pourquoi cette attirance pour 12 ? Peut-être à cause du fait qu'il y a douze mois dans l'année. Une autre explication avancée fait appel à un système de comptage vieux comme le monde : la numérotation manuelle. En l'occurrence, le système duodécimal viendrait de l'utilisation d'une seule main pour compter. Le pouce de la main droite s'oppose aux autres doigts et compte toutes les phalanges de ces doigts. Après tout, qui n'a pas compté sur ses doigts un jour ou l'autre ?

En s'opposant aux autres doigts, le pouce permet de compter 12 phalanges.

On peut y voir l'explication de l'existence du système duodécimal.

Nous avons d'ailleurs gardé des traces de cette numérotation duodécimale : 12 œufs, une douzaine d'huîtres, un carton de douze bouteilles de vin... Je ne parle pas de la numérotation de nos horloges puisque c'est justement l'objet de cette étude.

Quelle était donc la division du jour des Babyloniens ? 12 ou 24 heures ? Jour ou journée ?

On peut lire ici ou là que le jour babylonien était divisé en 12 kaspus égaux. Le kaspu équivaudrait donc à deux de nos heures et on aurait affaire à des heures équinoxiales. Réponse pas très satisfaisante quand on pense que le seul instrument de mesure du temps à ces époques était du type gnomon et donc incapable de diviser la nuit.

Nous allons donc substituer à cette «définition» celle de Gerhard Dohrn-van Rossum : "On avait divisé la journée entière en douze heures doubles, avec une division séparée du jour et de la nuit. Selon cette répartition, la journée de lumière, du lever au coucher du Soleil, mais aussi la nuit, sont divisés en douze parties - toujours égales dans chacune des deux catégories. La durée et la situation temporelle de ces heures varient avec la durée de la journée de lumière, mais la «sixième heure» désigne toujours midi."

Pour résumer en utilisant notre vocabulaire tel que défini plus haut, le jour serait divisé en matinée et nuit. Le jour compterait 12 heures d'égale longueur entre elles, mais de longueur variable selon la durée de la journée au fil de l'année. Chaque heure de la journée aurait son équivalent dans la nuit qui compterait aussi 12 heures égales entre elles. Plus les heures de la journée sont longues, plus les heures de la nuit sont courtes. Les heures de la journée et celles de la nuit n'ont la même durée que deux fois par an, aux équinoxes. C'est à ce type d'heures que l'on donne le nom d'heures temporelles ou inégales.

Il suffit donc d'imaginer que ces heures doubles sont égales pour retrouver notre ancien système (vu plus haut) de deux fois 12 heures.

L'interprétation de Gerhard Dohrn-van Rossum se confirme quand on lit ce qu'écrit Hérodote (484 425 av. J.-C.) dans la mesure du temps chez les grecs (II, 109) : "l'usage du polos, du gnomon, et la division du jour en douze parties c'est des Babyloniens que les Grecs les apprirent." Si nous relisons l'étude consacrée aux instruments de mesure, nous constatons que gnomon et polos sont des instruments de mesure utilisés uniquement le jour. C'est donc bien de la journée dont parle Hérodote.

Autre texte confirmant cette hypothèse de 2 fois 12 heures. Les Hébreux, avant l'exil à Babylone, se contentaient de diviser la période entre lever et coucher du Soleil (notre «journée») en trois grandes périodes, matin midi, après midi. C'est à Babylone qu'ils apprennent la division du jour. En 90 av. J.-C. Jean l'évangéliste écrit : "Jésus leur dit : il y a douze heures dans le jour, n'est-ce pas ? Si quelqu'un marche pendant le jour, il ne trébuche pas parce qu'il voit la lumière de ce monde. Mais si quelqu'un marche pendant la nuit, il trébuche parce qu'il n'y a pas de lumière en lui". La période de 12 heures est donc bien une division de la seule journée et non pas du jour.

Mais, comment faisaient les Babyloniens pour compter les heures de la nuit ? À moins qu'ils n'aient utilisé un instrument dont nous n'avons pas connaissance, cette division était purement théorique. Nous verrons d'ailleurs qu'ils étaient coutumiers de cette connaissance abstraite, non seulement de par leurs énormes connaissances mathématiques, quand nous en viendrons aux divisions de l'heure et de la minute.

Les Babyloniens sont-ils donc les «inventeurs» de la division du jour en 24 heures ? Souvenons-nous de la phrase de Jean Bottéro et répondons «Peu importe». Après avoir étudié la division du jour chez les Égyptiens, nous allons constater que cette division en 24 heures a mis du temps à se propager et qu'il est bien difficile de savoir qui a vraiment hérité de qui. La seule chose qui soit certaine, c'est qu'Alexandre le Grand dont on a lu qu'il avait hérité de l'heure par les Babyloniens, a grandement favorisé, par ses campagnes de conquêtes, la diffusion de cette division du jour, que ce soit aux Indes, en Perse, dans les pays méditerranéens. D'ailleurs, l'emploi du mot hora pour désignée l'heure temporelle n'est attesté qu'à partir de son époque.

Avant de quitter la Mésopotamie pour nous rendre en Égypte, sachons que certains chercheurs envisagent comme possible une évolution du système de division du jour en Mésopotamie dans le sens 6 heures, puis 12 heures puis 24 heures. Moritz Cantor parle même d'une division primitive en 60 parties.

Divisions du jour égyptien

Les Égyptiens vont avoir une démarche originale pour diviser le jour. Ils vont s'attaquer à ce qui était et sera encore longtemps une vraie plaie (faute d'instrument de mesure) : la nuit. Eux, au contraire, vont s'attacher à la diviser. La division de la nuit ne sera pas la huitième plaie d'Égypte ! Je plaisante, je plaisante.

Pour ce faire, ils vont exploiter un phénomène qu'ils connaissent bien, le lever héliaque des étoiles.

Petit rappel : D'une étoile qui, à l'aube, se lève pour disparaître dans les premières lueurs du jour, on dit qu'elle fait son lever héliaque. On peut considérer que c'est le signal de la dernière heure de la nuit. Le lever héliaque de Sothis (ou Sirius) marquait le début de l'année agraire égyptienne.

Nous savons que l'année égyptienne était découpée en décades (10 jours - cf calendrier égyptien) et en comportait 36. Une étoile fut choisie pour marquer la fin de la nuit pendant ces dix jours. Puis, une autre étoile était choisie pour marquer les dix jours suivants et ainsi de suite pendant les 36 décades. L'étoile «de service» était le décan. 36 décades ou décans s'écoulaient donc avant qu'une étoile soit à nouveau «de service». Nous pouvons représenter ce système sur un tableau à 36 colonnes sur lesquels les étoiles porteront les noms E1, E2, E3, etc. Contentons-nous de quelques lignes et colonnes pour notre compréhension.

Décan 1 2 3 4
Heure
1 E1 E2 E3 E4
2 E2 E3 E4 E5
3 E3 E4 E5
4 E4 E5
5 E5

Comment lire ce tableau ? Si, par exemple, nous sommes dans la seconde décade et si je vois E4 dans le ciel et pas encore E5, nous sommes dans la troisième heure de la nuit. On constate que, d'une colonne à l'autre, le nom d'une étoile monte d'une ligne. D'où le nom de calendrier diagonal quelquefois donné à ces tableaux.

Nous savons que notre tableau contient 36 ou 37 colonnes (Les Égyptiens tenaient compte des jours épagomènes par introduction d'une décade supplémentaire). Mais combien de lignes va-t-il comporter ?

Ce sera tout simplement le nombre de levers héliaques d'étoiles qu'on peut observer en une nuit. En Égypte, pendant la nuit la plus courte d'été, on peut observer 12 levers d'étoiles. Le nombre de lignes sera donc de 12 et, du coup, la nuit sera divisée en 12 heures temporelles.

L'usage des décans remonterait à la troisième dynastie, soit environ 2 750 av. J.-C.

Les tables décanales sont improprement appelées calendriers diagonaux alors qu'il s'agit plutôt d'horloges stellaires. Partie du cercueil d'Achayt, Musée du Caire -Neugebauer-Parker, Egyptian Astronomical Texts I, 1960

Bien entendu, une étoile, au fil des 10 jours de son décan, ne va pas toujours se lever. Elle se lèvera le premier jour de la décade, mais sera de plus en plus haute dans le ciel au fur et à mesure que les jours (nuits ?) passent. Ce qui fait que l'heure de fin de nuit passera cycliquement de l'aube à la nuit noire. Qu'à cela ne tienne, c'est bien suffisant pour déterminer les heures des offices religieux nocturnes.

Ces décans ne vont être utilisés qu'en Égypte pour plusieurs raisons : Le ciel d'Égypte ne se voit qu'en...Égypte, incidence de la précession des équinoxes, arrivée d'instruments de mesure du type nocturlabe. Ils font faire la joie des astrologues futurs. Mais, auparavant, on les retrouve dans le culte égyptien au travers de «textes» comme le Livre des Morts ou le Livre des Portes.

Les Livres des Morts comportent douze parties correspondant aux douze heures de la nuit. Chaque heure est consacrée au dieu Soleil dans sa barque, entouré des êtres qui peuplent cette région. Toute la nuit, il devait lutter contre son ennemi juré, le serpent Apopis.

Première heure du Livre des Portes. C'est le début du long voyage du dieu Soleil dans sa barque durant les douze heures de la nuit (Tombe de Ramsès VII).
Première heure du Livre des Portes. C'est le début du long voyage du dieu Soleil dans sa barque durant les douze heures de la nuit (Tombe de Ramsès VII). © Mutnedjmet / Flickr

Pour voir d'autres images, c'est ici. Copyright « Une promenade égyptienne »

Et la division de la journée ?

Une peinture de la tombe de Séthy Ier, pharaon qui régna de 1318 à 1304 av. J.-C, représente un cadran solaire divisé en dix heures entre le lever et le coucher du Soleil. Les Égyptiens y rajoutaient une heure pour l'aube et une heure pour le crépuscule. Il s'agit bien entendu d'heures temporelles.

Si, à ces heures temporelles de la journée, on ajoute celles de la nuit on en arrive à une division du jour égyptien en 24 heures.

Avenir des systèmes babylonien et égyptien

Après ce que nous venons de lire, on est en droit de penser que la division du jour en 24 heures ou deux fois douze heures va se propager rapidement au fil des siècles. Eh bien non ! Et nous allons le voir au travers de deux exemples, celui de la Rome antique et celui du Moyen-Age.

La Rome antique et les 24 heures

Dans les lois des Douze Tables (450 av. J.-C.), on peut lire : " ...Quand les plaideurs arrangent leur cas par compromis, laissez le magistrat l'annoncer... Après midi, au cas où l'une ou l'autre des parties n'apparaît pas, laissez le magistrat annoncer le jugement en faveur de celui qui est présent. S'ils sont tous deux présents, l'épreuve peut durer jusqu'au coucher du Soleil, mais pas plus tard."

Il valait mieux traiter ses litiges en hiver !! Euh... je m'égare. Ce que je voulais dire, c'est qu'à cette époque on connaît midi et le coucher du Soleil. On peut certainement y ajouter le lever du Soleil. Trois points de repère dans la journée.

Selon Varron, c'est en 263 av. J.-C. que le consul Valerius Massala ramène un cadran solaire de Catane, conquise par les légions romaines. Il était certainement très utilisé puisque ce n'est que 89 ans plus tard qu'on constate que ses repères sont faux. La latitude de Rome n'est pas celle de Catane.

Il faudra attendre 164 av. J.-C.. pour qu'un cadran solaire juste soit installé et 159 av. J.-C. pour voir arriver une horloge à eau publique. Ce qui fait dire à Pline l'Ancien que, jusqu'alors, la journée n'était pas divisée.

Enfin presque. Parce qu'il existe et existera à Rome, même à l'arrivée des premiers instruments, des divisions qui suffisent au bonheur de chacun pour rythmer la vie quotidienne. La journée était divisée en 4 sections et la nuit en 4 gardes (prime, tierce, sexte, none). Ces sections étaient publiquement signalées par des autorités officielles.

Certains érudits, pour des besoins propres utilisaient d'autres notions, repérant ainsi des instants plus précis. On trouve ainsi :

Le Moyen-Age et les 24 heures

Cette division du jour romaine va se retrouver, dans son principe d'une découpe «utilitaire» au Moyen-Age.

Le moine anglais Ælfric (vers 955-1014), par exemple, écrit en ce qui concerne la nuit, dans son De tempribus anni (les saisons de l'année) :

La nuit a sept divisions du coucher du Soleil jusqu'à son lever. La première de ces divisions est appelée crepusculum, c'est le crépuscule. La seconde est vesperum, quand l'étoile du soir apparaît. La troisième est conticinium, quand toutes choses sont silencieuses dans leur lit. La quatrième est intempestum quand c'est le milieu de la nuit, la cinquième est gallicinium qui est le chant du coq. La sixième est matutinum ou aurora, qui est l'aube. La septième est diluculum qui est le petit matin entre l'aube et le lever du Soleil.

Quant à l'Église catholique, nous avons vu dans la page consacrée aux instruments de mesure du temps qu'elle divisait la journée en huit sections, Matines, Laudes, Prime, Tierce, Sexte, None, Vêpres et Complies.

Faut-il conclure de ces exemples de Rome ou du Moyen-Age que les divisions du jour babylonienne ou égyptienne se sont perdues au fil des siècles ? Certainement pas. Nous venons simplement de vérifier la justesse de la phrase de Jean Bottéro : «Il n'y a que des développements, des croisements, des séparations, des oublis, des retrouvailles.»

L'utilisation des 24 heures n'est véritablement entrée dans les mœurs que lorsque de vrais besoins se sont fait sentir, lorsque les instruments de mesure du temps sont devenus la chose de chacun. Jusque là, à part quelques initiés qui expérimentent plus qu'ils n'utilisent, le commun des mortels continue à pratiquer ce qui lui convient parfaitement.

Alors, quand on écrit que les Romains ont adopté la division du jour en heures en 263 av. J.-C, c'est peut-être aller un peu vite en besogne. Pas plus qu'une hirondelle ne fait le printemps, l'arrivée d'un cadran solaire ne fait le jour de 24 heures.

Les heures équinoxiales

S'il fallait justifier les deux paragraphes précédents, l'adoption des heures équinoxiales serait un bon exemple.

En effet, dès le deuxième siècle avant J.-C. l'astronome grec Hipparque de Nicée divise le jour en 24 heures d'égales durées (heures équinoxiales) pour ses besoins astronomiques.

Il sera suivi par Ptolémée qui ira plus loin sur les traces des Babyloniens. Nous y reviendrons.

Et pourtant, ce n'est guère qu'à la fin du XIIIe siècle que l'usage des heures équinoxiales commencera à entrer dans les mœurs avec l'arrivée d'instruments capables de les mesurer et de les afficher. J'ai bien dit commencent...

Divisions et subdivisions de l'heure

Allons droit à la source puisqu'il semble bien que ce soient les Sumériens et Babyloniens qui aient divisé les premiers l'heure en soixante minutes et la minute en soixante secondes. Cette division daterait de 300 av. J.-C. à 100 av. J.-C. environ. Auparavant, vers 2 400 av. J.-C. ils auraient divisé le cercle en 360 degrés. Sous toutes réserves en ce qui concerne les dates présumées.

Divisions d'ailleurs toutes théoriques (surtout concernant la seconde) compte tenu de la précision des instruments de mesure de l'époque.

Il va de soi que cette précision dans la division des heures n'était pratiquement qu'à seul usage des astronomes. Et encore ! Quand on sait que Claude Ptolémée, au IIe siècle ap. J.-C, n'indiquait jamais le temps d'une observation avec une précision supérieure au quart d'heure.

Lequel Claude Ptolémée contribuera largement à l'adoption des divisions du jour en 60 minutes et 3 600 secondes en l'appliquant à ses propres calculs astronomiques. Et quand on constate le rôle très actif que vont jouer les astronomes dans l'élaboration des instruments de mesure comme l'horloge, il ne faut pas s'étonner que nous utilisions encore les mêmes divisions.

Mais connaître l'origine n'explique pas le pourquoi. Pourquoi 60 ?

Tout simplement parce que les Sumériens pratiquaient la numérotation sexagésimale en écriture cunéiforme. C'était une numérotation positionnelle (...miliers, centaines, dizaines, unités) comme la nôtre aux exceptions près que la nôtre est à base 10 contre 60 pour la leur et que nous utilisons le zéro. Les symboles représentatifs des nombres 1 à 60 de cette base 60 sont les suivants :

Nous y remarquons parfaitement la numérotation positionnelle : par exemple 29 = symbole de 20 + symbole de 9.

Nous sommes rodés à la pratique des bases autres que 10 depuis notre étude de la base vigésimale maya. Aussi nous ne prendrons qu'un exemple court, histoire de ne pas perdre la main : 985 dans notre système, c'est 9* (10*10) + 8 *10 + 5 soit 9.8.5. Dans le système sumérien, ce sera 16 * 60 + 25 soit 16.25.

Et pour les heures, minutes, secondes ? Rien de plus simple : notre 06 h 25 mn 30 sec (6:25:30 dans Excel par exemple), c'était 6 25/60 30/3600 soit 6;25,30.

D'accord, on a compris le système sexagésimal. Mais pourquoi la base 60 au lieu de 18 ou 37 ou 72 ?

Mouais... Il fallait s'attendre à cette question. Pour dire la vérité, on n'a pas la réponse. En revanche, les hypothèses ne manquent pas. Nous allons les passer rapidement en revue telles que les présente Georges Ifrah pour en arriver à sa propre hypothèse qui ne manque pas d'être séduisante.

Passons sur les raisons mystiques et arrivons-en à l'hypothèse de Ifrah lui-même qu'il caractérise comme «plausible».

Historiquement, il aurait existé plusieurs populations indigènes avant la domination sumérienne en Mésopotamie. On peut supposer que ces populations et les Sumériens avaient des systèmes de comptage différents et que la base sexagésimale est née de la symbiose de ces cultures. En l'occurrence, les bases d'origine auraient été la base 12 (déjà vue) et la base 5. En regardant de près les 10 premiers nombres et leur nom

Nombre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Nom ges min es limmu ia as imin ussu ilimmu u

Ifrah décèle les traces d'un système quinaire. À part 8, les nombres supérieurs à 5 ne sont rien de moins que la contraction de deux nombres de 1 à 5 :

  • 6 as = ia.ges = 5 +1
  • 7 imin = ia.min = 5 + 2
  • 9 ilimmu = ia.limmu = 5 + 4

Si on applique cette théorie à la technique digitale, 60 est la base principale et 12 et 5 sont des bases auxiliaires. Sur la main droite, on compte de 1 à 12. À douze, on replie l'annulaire de la main gauche et ainsi de suite avec les autres doigts.

Nous en avons terminé avec cette étude des divisions et subdivisions de notre jour. Nous savons, autant que faire se peut, le pourquoi de nos 24 heures et 60 minutes et secondes. Nous en savons aussi l'origine. Mais n'oublions pas la phrase de Jean Bottéro : Il n'y a jamais, en histoire, de commencement avec un grand «C».

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