Les instruments de mesure du temps - Partie I

Au fil de cette étude, nous allons découvrir les instruments qui servirent ou servent à mesurer le temps. Juste trois précisions avant de commencer :

Découpage de cette étude

Le mieux bien sûr eut été de dérouler cette étude chronologiquement au fur et à mesure de l'apparition ou de l'évolution d'un instrument. L'inconvénient de cette méthode est que les vies des différents instruments s'entrecroisent et qu'après avoir découvert un instrument puis un autre, il nous faudrait revenir au premier parce qu'il a subi une modification majeure.

Nous allons donc découper notre étude, classiquement, par grands types d'instruments qui feront chacun l'objet d'une page particulière.

Et la page 1, alors ? C'est l'exception. La page où nous sommes est consacrée aux «instruments» datant d'avant l'écriture et qui découlent ou pas de la visée des astres.

Les instruments préhistoriques

1) L'os d'Ishango

Jean de Heinzelin, sur les rives du Lac Édouard, dans les années 50
Jean de Heinzelin, sur les rives du Lac Édouard, dans les années 50 © Institut royal des Sciences Naturelles de Belgique

Dans les années 1950, l'archéologue belge Jean de Heinzelin découvre dans les environs d'Ishango un os marqué d'encoches. Les recherches en datation le font remonter à 20 000 ans. Les zoologues ignorent à quel animal il aurait pu appartenir.

Le village d'Ishango est situé non loin du lac Édouard, au bord de la rivière Semliki qui en sort et qui va se jeter dans le lac Albert où commence le Nil.

Cet os, de moins de 10 cm, comporte un quartz à l'une de ses extrémités et présente trois colonnes d'entailles.

© Institut royal des Sciences Naturelles de Belgique
© Institut royal des Sciences Naturelles de Belgique

En y regardant de près, et même de très près, on peut regrouper les entailles de la façon suivante :

groupe 1 groupe 2 groupe 3 groupe 4 groupe 5
D 9 19 21 11
G 19 17 13 11
M 7 5 et 5 10 4 et 8 3 et 6

Chronologiquement, il existe trois interprétations de ces séries :

1) la première est celle de Jean de Heinzelin lui-même qui y voit une «calculette préhistorique».

Alexander Marshack, photo issue de son ouvrage "The Roots of Civilization", édition de 1972
Alexander Marshack, photo issue de son ouvrage "The Roots of Civilization", édition de 1972 © Alexander Marshack

2) la deuxième, qui nous concerne, est celle d'Alexander Marshack, chargé de recherche au Peaobody Museum of Archaelogy.

Selon lui, l'os d'Ishango est un calendrier lunaire. Il fonde ses conclusions sur l'observation au microscope des encoches et sur leur dénombrement. L'observation microscopique révèle que les entailles n'ont pas la même inclinaison ni la même profondeur. Les plus petites sembleraient correspondre à des jours de nouvelle lune. Le dénombrement, lui, révèle que la somme du nombre de la colonne D est égale à 60. Idem pour celle des nombres de la colonne G. L'addition de D et G donne 120 soit 4 mois lunaires (à deux jours près). La troisième colonne, M, totalise 78 entailles soit un mois lunaire et demi.

Que faut-il en penser ? Je vous laisse vous faire votre propre opinion, mais, pour ma part, j'ai de gros doutes. Je doute qu'an l'an - 20 000 le microscope soit très répandu. Je doute aussi qu'on puisse faire de cet os et de ses marques un instrument de mesure puisque rien ne permet de poser une marque sur une encoche pour savoir quel jour on est et se repérer ainsi dans le temps. Alors, simple calendrier rustique ? Autre chose ?

3) La troisième est celle de V.Plester, chercheur à l'Agence Spatiale Européenne qui y voit la prédominance de certains nombres (6, 12) en Afrique.

Bref, on ne sait pas trop encore ce que veulent signifier ces encoches sur l'os d'Ishango. Mais la théorie «instrument de mesure du temps» semble avoir fait long feu. Il fallait quand même en parler. Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez consulter le dossier PDF de l'Institut royal des Sciences Naturelles de Belgique.

2) L'os de l'abri Blanchard

On va retrouver A. Marshack et son microscope plus tard (1965) en train d'examiner un autre os datant cette fois d'environ 32 000 ans av. J.-C. Cet os provient de l'abri Blanchard en Dordogne (France).

Non loin des grottes de Lascaux, l'abri Blanchard est proche du village de Seageac le long de la Vézère

L'observation à œil nu révèle un certain nombre de marques creusées en une sorte de spirale

La partie verso de l'os de Blanchard.
La partie verso de l'os de Blanchard. Don Hitchcock, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
La partie recto de l'os de Blanchard.
La partie recto de l'os de Blanchard. Don Hitchcock, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Schéma de la partie verso de l'os, réalisée par A. Marshack, via <a href="https://www.cabinetmagazine.org/issues/28/rosenberg.php">Cabinet Magazine</a>.
Schéma de la partie verso de l'os, réalisée par A. Marshack, via Cabinet Magazine. © Alexander Marshack / Harvard University, Peabody Museum

L'ensemble des marques de la partie recto correspondrait à une période lunaire de 2 mois 1/2.

Marshack note que "... un homme exécutant une composition ornementale de 5,2 cm n'eût pas changé 24 fois de pointe et de style de frappe pour graver 69 marques aussi rapprochées". Ça, c'est son microscope qui le révèle. Comment le graveur, sans cet instrument, est-il arrivé à cette précision supposée de gravure ? N'est-on pas en train de prendre ce que l'on voudrait voir pour la réalité ?

L'os fait aussi apparaître 63 marques sur la tranche et 40 au verso. L'ensemble des marques de l'os couvrirait une période de 6 mois lunaires.

L'os de l'abri Blanchard est-il un instrument de mesure du temps préhistorique ? Le problème est le même que pour l'os d'Ishago : comment «marquer» le moment où nous sommes ? A chacun de se faire son opinion. Là aussi, il fallait en parler. Pour les curieux et curieuses anglophone, rendez-vous sur le site Cave Script.

3) Les mégalithes : Stonehenge

Le site mégalithique de Stonehenge se situe près de Amesbury, dans le Comté de Wiltshire en Angleterre.

De quand date le site de Stonehenge ? Difficile de répondre parce que, en fait, s'il a été construit pendant le néolithique, cette construction s'est déroulée en trois phrases successives de 2900 av. J.-C environ à 1600 av. J.-C. environ.

Pour nous permettre de suivre ces constructions successives, voyons un peu à quoi ressemble le site à l'aide d'une vue générale.

Vue aérienne de Stonehenge et la campagne alentour
Vue aérienne de Stonehenge et la campagne alentour © nationalhighways.co.uk

Détaillons maintenant les trois phases principales (il y a des sous-phases) telles que les archéologues s'accordent à les décrire.

Phase 1 : environ 2 900 av. j.-c

Sur un cercle d'un diamètre de 100 mètres, édification de deux talus séparés par un fossé.

Un troisième cercle, plus à l'intérieur, se caractérise par 56 trous (on peut en apercevoir quelques-uns à gauche et en bas de l'image principale. C'est le cercle dit d'Aubrey en mémoire d'un archéologue. Ces trous contenaient des poteaux de bois.

Phase 2 : environ 2 900 à 2 400 av. j.-c

Les trous d'Aubrey sont remplis d'os, de restes crématoires ou de restes crématoires.

D'autres trous servent à dresser des constructions en bois.

Une avenue de 12 mètres est construite et accueille la Hell Stone, une pierre levée de 4,80 m de haut et enfoncée dans le sol de 1,20 m. Elle est entourée d'un fossé circulaire et devait certainement avoir une jumelle de l'autre côté de l'allée.

Certains archéologues situent ces derniers événements (avenue et Hell Stone) beaucoup plus tard (fin de la troisième phase).

Phase 3: environ 2 400 à 1 600 av. j.-c

Étape a

Le cercle de Sarsen et des trilithes sont mis en place.

Les trilithes, comme on peut le voir en cartouche de l'image ci-contre sont composés d'un linteau posé sur deux supports. Elles étaient disposées en cinq paires distinctes.

Le cercle de Sarlen a 33 mètres de diamètre et se composait de 30 pierres de 4 mètres de haut. Il en reste 17 encore en place.

Étape b

Des pierres bleues sont rajoutées. Un ovale de ces mêmes pierres vient fermer le fer à cheval interne. Un cercle de pierres bleues est rajouté entre ce fer à cheval et le cercle de Sarsen.

Deux derniers cercles sont rajoutés à l'extérieur du cercle de Sarsen pour installer d'autres pierres. Ce sont les trous Y et Z.

Étape c

L'ovale central est démantelé et le fer à cheval central retrouve son état d'origine.

Les trous Y et Z ne recevront jamais les pierres prévues.

On peut voir en cartouche de l'image ci-contre une reconstitution de ce que devait être la partie centrale du site.

Qu'est-ce qu'un tel site peut avoir à voir avec nos instruments de mesure du temps ?

Au début des années 1970, un ingénieur écossais, Alexandre Thom et son fils Archibald examinent de nombreux sites mégalithiques en les considérant comme un tout et non pas comme des constructions individuelles. Ils trouvent que de nombreux édifices sont alignés vers le lever ou le coucher du soleil aux solstices ou aux équinoxes et en concluent qu'il existe un lien entre les sites mégalithiques et l'astronomie. Thèse contestée par d'autres chercheurs comme Clive Ruggles.

Accordons le bénéfice du doute aux Thom père et fils.

Beaucoup plus tôt, au XVIIIe siècle, un certain William Stukeley avait remarqué que l'avenue, le fer à cheval central et la pierre de Heel étaient alignés sur le lever du soleil au solstice d'été. L'idée d'un instrument astronomique de mesure du temps vient de germer.

Ils sont nombreux à avoir confirmé l'option astronomie. Parmi eux, et qui nous concernent particulièrement, l'astronome Gerald Hawkins et l'astrophysicien Fred Hoyle (1915-2001).

Passons sur toutes les orientations astronomiques repérées et venons-en à notre propos.

Les trous d'Aubrey permettent de se positionner dans l'année : il suffit de placer un marqueur dans le trou qui se trouve dans l'axe de l'avenue. On le déplace ensuite de deux trous tous les 13 jours dans le sens inverse des aiguilles d'une montre et, lorsque que le marqueur retrouvera sa position initiale, l'année sera écoulée.

Retrouver le mois lunaire ? Rien de plus simple. Le jour de la première pleine lune après le solstice d'été (repérable par d'autres moyens prévus), placer un autre marqueur à 28 trous du marqueur solaire (dans le sens anti-horlogique) et le déplacer de deux trous tous les 2 jours. Le marqueur fera un tour complet en 28 jours soit, approximativement, une lunaison.

On peut ainsi multiplier les exemples à l'infini pour des observations plus astronomiques. Je vous en donne un pour le plaisir. Les quatre «pierres-stations» marquées 91, 92, 93, 94 sur la dernière image (phase 3c) forment un rectangle parfait. Les directions indiquées par les côtés correspondent aux directions des levers et couchers les plus extrêmes du soleil et de la lune. Stonehenge est le seul lieu où les repères de telles directions forment un rectangle. Étonnant, non ?

Les lignes que l'on peut tracer entre les trous 91, 92, 93, 94 pointent sur des événements astronomiques remarquables.

Alors ? Stonehenge, instrument de mesure du temps ?

Je me garderai bien de répondre à la question. D'abord pour vous permettre de vous faire votre propre opinion. Ensuite, parce que les théories que nous venons de voir ne sont... que des hypothèses avancées par certains spécialistes et contestées par d'autres.

Un fait est certain : si Stonehenge est ce que certains disent qu'il est, il est aussi le seul des «objets» de cette page à posséder la caractéristique d'un vrai instrument de mesure qui est de se repérer dans le temps grâce à des «marqueurs».

Pour le reste, mon sentiment est que, grâce aux connaissances astronomiques que nous possédons actuellement, si j'enlève les piquets d'un pré rectangulaire et si je trace des lignes virtuelles entre les trous laissés, en combinant les trous j'arriverai bien à «pointer» peu ou prou sur un événement astronomique remarquable.

Mais, pour avoir toutes les cartes en main, il fallait bien en parler.

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