Les instruments de mesure du temps - Partie III

Découpage de cette étude

Les instruments d'observation des astres

Le nocturlabe

Nous avons vu, sur la page précédente, qu'on peut mesurer le temps, et plus particulièrement les moments de la journée, avec des cadrans solaires ou assimilés. Voilà donc le problème de la journée réglé. Mais, comment mesurer les heures la nuit en observant les astres ?

Bien entendu, le soleil s'est couché et la lune ne va pas pouvoir nous servir puisqu'il lui arrive régulièrement de ne plus être visible (nouvelle lune) ou seulement partiellement. Son éclat est donc souvent tel qu'il lui est difficile de projeter des ombres.

© Alexandre Santerne

Que nous reste-t-il dans le ciel, la nuit, à part les étoiles ? Le problème est que si, du fait des mouvements de la Terre, elles donnent l'impression de se déplacer, ce n'est pas autour de la Terre. Heureusement, elles le font autour d'un point fixe et, qui plus est, autour d'une étoile repérable qui est l'étoile Polaire.

Du fait des mouvements de la Terre, les étoiles donnent l'impression de tourner autour d'un point fixe.

Ce point fixe est l'étoile Polaire. Chaque étoile effectue un tour complet autour de l'étoile Polaire en 24 heures.

Un point fixe et un mouvement régulier d'étoiles. Voilà qu'il n'en a pas fallu plus pour imaginer et construire un instrument de mesure qui garde encore pas mal de mystères : le nocturlabe.

Nocturlabe en bois
Nocturlabe en bois Royal Astronomical Society / CC-by-nc-nd
Nocturlabe en laiton, Musée maritime de Malte
Nocturlabe en laiton, Musée maritime de Malte © Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons

Mystérieux parce que, si on sait qu'il a traversé tout le Moyen Âge, on est loin de connaître l'époque exacte de sa naissance (début du IXe siècle ?) et encore moins le nom de son inventeur.

Mystérieux aussi parce qu'on est loin d'avoir percé toutes les subtilités de son utilisation.

Il se compose de deux ou trois plaques circulaires. La plus grande comporte une poignée qui permet de le tenir verticalement. On peut y lire les gravures du nom des mois et, quelquefois, les signes du zodiaque. La plus petite compte 24 dents qui correspondent aux heures. L'une de ces dents est plus grande et correspond à minuit.

On plaçait le temps de minuit face au jour du mois de l'observation, et, en tenant l'instrument à bout de bras, on visait l'étoile Polaire au travers du trou central. Il suffisait alors de déplacer l'alidade (le grand «manche» qui dépasse sur les photos) jusqu'à ce qu'elle semble venir toucher une étoile prise comme référence. Il suffisait alors de lire l'heure sur la plaque centrale à l'endroit où s'était positionnée l'alidade.

Quelle était l'étoile de référence ? C'était bien entendu une étoile qui est visible tout au long de la nuit et de l'année. Proche de l'étoile Polaire compte tenu de la longueur limitée de l'alidade. Partant de là, certains disent que c'est une étoile de la Petite Ourse. D'autres pensent aux deux «gardes» de la Grande Ourse.

Quelle était l'étoile de référence sur laquelle était positionnée l'alidade ? Une étoile de la Petite Ourse (? sur l'image ci-dessus) ou les Gardes de la Grande Ourse ?

Ce serait la seconde hypothèse que serait la bonne si on en croit un dessin d'Apianus (ci-dessous, 1539) montrant l'utilisation de l'instrument. Rien n'empêche de penser que cette référence peut changer selon les nocturlabes.

Notons pour en terminer avec le nocturlabe que l'heure mesurée était l'heure sidérale (voir page astronomie) plus courte que l'heure solaire moyenne.

L'astrolabe

Le deuxième instrument de visée que nous allons maintenant étudier est beaucoup plus connu que le nocturlabe de par le succès qu'il a eu en Grèce et, surtout, dans les pays musulmans.

Ses possibilités sont telles qu'on peut l'utiliser aussi bien dans la mesure du temps diurne que nocturne. Il est donc capable de remplir les fonctions de cadran solaire et de nocturlabe. Fut-il réellement utilisé comme instrument de mesure instantané des heures, c'est une autre histoire.

Et puisque nous parlons d'histoire, nous allons essayer de le suivre de son origine à sa disparition prévisible du fait de l'arrivée d'autres instruments.

Mais, avant cette histoire, donnons-nous le temps de jeter un coup d'œil rapide sur cet instrument pour voir à quoi il peut ressembler.

Astrolabe français du XVe siècle, 16 cm de diamètre, conservé au Musée astronomique Adler de Chicago
Astrolabe français du XVe siècle, 16 cm de diamètre, conservé au Musée astronomique Adler de Chicago Jean Fusoris, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Autre astrolabe daté de 1400, également attribué aux ateliers de Jean Fusoris, vers 1400. Galerie Putnam du Harvard Science Center.
Autre astrolabe daté de 1400, également attribué aux ateliers de Jean Fusoris, vers 1400. Galerie Putnam du Harvard Science Center. Sage Ross, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

Fabriqués par Jean Fusoris (1365-1436) d'abord constructeur d'instruments scientifiques puis Chanoine de Reims en 1404 et de Paris en 1411. Auteur de plusieurs traités sur l'instrument.

Petite histoire de l'astrolabe

Comme nous le verrons quand nous examinerons de près l'instrument, son principe est fondé sur la projection stéréographique.

Encore une fois donc (voir page précédente), nous allons évoquer le nom d'Hipparque (seconde moitié du IIe siècle av. J.-C.) puisque c'est à lui qu'on doit ce principe. En revanche, malgré ce qu'on peut lire ici ou là, il n'a pas inventé l'astrolabe.

Il faut attendre Claude Ptolémée (IIe siècle apr. J.-C.) pour voir naître un instrument horoscopique (astralobon organon), voisin lointain de l'astrolabe quant à son principe, mais sans rapport avec l'astrolabe planisphérique.

Le mot astrolabe vient du grec astrolabos qui signifie preneur d'étoiles. Qui a inventé ce mot ? Mystère ? Le plus ancien traité concernant l'astrolabe est dû à Jean Philopon (entre 475 et 480-apr. 565), grammairien et philosophe chrétien, né à Alexandrie (Égypte).

De Grèce, il va être transmis aux pays musulmans au VIIIe siècle où il va faire un «tabac», certainement grâce à ses possibilités de pouvoir déterminer les heures inégales et donc les heures des prières et, avec quelques modifications, donner la direction de La Mecque. Souvenons nous que l'heure illégale correspond à la douzième partie de la durée du jour c'est à dire, pour simplifier, de la partie de la journée pendant laquelle le soleil brille (jour clair) qui varie donc au cours de l'année.

Il va parvenir en Europe occidentale via l'Espagne grâce à un certain Gerbert qui, un peu avant 999, va écrire un Livre de l'astrolabe à partir de traductions de traités arabes (où l'astrolabe porte le nom de walzagora ou planisphère de Ptolémée) venus d'Espagne. Notons au passage que ce Gerbert deviendra Pape en 999 sous le nom de Sylvestre II.

En Orient comme en Occident, c'est aux XVIe et XVIIe siècles que l'astrolabe va atteindre ses sommets de perfection et d'utilisation. Un astrolabe universel (nous verrons plus loin que l'astrolabe «classique» ne l'est pas) voit le jour au XVIe siècle construit par Gemma Frisius (1508-1555), mais décrit beaucoup plus tôt par al-Zarqalluh de Tolède au XIe siècle. Après un passage par l'horloge astrolabique, il va décliner au XVIIIe siècle en Occident avec une précision suffisante des horloges mécaniques. En revanche, il va prospérer encore dans les pays musulmans presque jusqu'au XXe siècle, à la Mosquée de Fez pour ne citer qu'elle.

Description de l'astrolabe

Encore une fois, mille excuses à ceux qui penseraient trouver sur cette page un guide de construction de l'instrument. Notre but n'est pas là, mais de vérifier qu'il s'agit bien d'un instrument de mesure du temps. Sa description, succincte, n'a pas d'autre objet que de comprendre son fonctionnement dans le cadre de notre étude.

Comme nous allons l'utiliser à deux reprises, voyons un peu ce qu'est la projection stéréographique.

Sur l'image du haut, imaginons une sphère coupée en son équateur par un plan P. Par projection stéréographique le point A sur la sphère a pour image le point a à l'intersection entre la droite SA et le plan P.

On peut voir sur l'image du bas représentant une coupe transversale de notre sphère au niveau des pôles N et S et perpendiculaire à l'équateur. On y remarque que chaque point du cercle (disons le méridien) peut avoir une projection stéréographique sauf le point S. Bien entendu, j'emploie les mots pôles, méridien, équateur au hasard et sans arrière-pensée.... quoique...

Facile, la projection stéréographique, non ? C'est toujours facile quand d'autres l'ont inventée et qu'on ne parle pas de la mesure des angles.

La projection stéréographique a le double avantage de conserver les angles (deux courbes qui ont un angle sur S ont le même angle sur P) et de faire qu'un cercle sur S a pour image un cercle sur P.

Astrolabe désassemblé, celui-ci est daté du XVIIIe siècle, origine Afrique du Nord
Astrolabe désassemblé, celui-ci est daté du XVIIIe siècle, origine Afrique du Nord Evan Bench, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons
Eclaté de l'astrolabe
Eclaté de l'astrolabe

Les présentations étant faites, regardons de plus près de quoi sont constituées les différentes pièces avant voir comment était utilisé l'instrument dans la mesure du temps.

La mère

À tout seigneur tout honneur. La mère peut être considérée comme le socle de l'instrument. C'est une plaque de métal ou de bois d'une dizaine de centimètres ou plus, légèrement creusée pour recevoir différents tympans qui devront être intervertis par l'observateur en fonction du lieu où il se trouve. Nous y reviendrons. Bien entendu, un seul tympan (le bon) sera utilisé. Selon les astrolabes (occidental ou arabe), la bordure de la mère (limbe) est gravée en degrés et/ou en heures. Ces heures sont au nombre de 24. Du haut en bas sur la partie droite pour les heures de l'après-midi et de haut en bas sur la partie droite pour les heures du matin.

L'instrument étant destiné à être utilisé verticalement pour les mesures de hauteur des astres (étoiles ou soleil), il est muni d'un anneau (trône) permettant de le suspendre.

Partie verso : cette partie servait de mémento et pouvait rappeler certaines conversions multiples (carré des ombres pour l'arpentage, heures légales, heures illégales...). En effet, nous nous en tenons à la mesure du temps, mais un auteur arabe a recensé 1 761 problèmes pouvant être résolus avec l'instrument. Quoi qu'il en soit, la partie verso comprenait sur sa partie externe au moins deux échelles obligatoires et indispensables : une gravure en degrés permettant de déterminer la hauteur d'un astre à l'aide de l'alidade d'une part et un calendrier zodiacal qui donne chaque jour de l'année la position du Soleil dans le zodiaque.

L'alidade

Orientée vers un astre, l'alidade permet de viser une étoile en regardant au travers de ses deux pinnules. En ce qui concerne le Soleil, son orientation permet de faire passer la lumière au travers des deux pinnules (une seule position possible).

Le Tympan

Il n'est pas autre chose qu'un quadrillage du ciel qui va nous permettre de positionner un astre en fonction de sa position exacte dans le ciel et partant de là, en ce qui nous concerne, de déterminer l'heure exacte.

Quels sont les éléments de ce quadrillage ?

A) D'abord, une projection stéréographique de la Terre en marquant ses cercles de lattitude traditionnels : tropique du cancer, équateur, tropique du capricorne.

A-1) Sphère terrestre : lignes des latitudes
A-2) Sphère terrestre : ligne des heures inégales

Toutes les lignes n'ont pas été dessinées. Elles sont au nombre de 11 et divisent donc cette partie du tympan en 12 secteurs. Les lignes marquent des heures inégales dans la mesure où elles divisent la partie claire de la journée en 12 heures qui n'ont pas la même longueur au cours de l'année.

B) Ensuite, une projection stéréographique de la sphère locale (voir partie 2 de cette étude) telle que la voit un observateur placé à une latitude particulière. Cette projection variant justement en fonction de la latitude nous savons maintenant pourquoi il faut changer de tympan quand on se déplace le long d'un méridien. Les tympans portent une gravure de la latitude pour laquelle ils sont conçus.

B-1) Sphère locale : lignes de hauteur ou almucantarats

Tous ces almucantarats sont gravés en degrés. Il y a une ligne tous les 2, 3 ou 5 degrés. Les almucantarats étant situés en haut de l'astrolabe tenu verticalement, on remarquera que les points cardinaux sont inversés : sud en haut, nord en bas, est à gauche et ouest à droite. Tous les almucantarats sont des cercles comme le prévoit la projection stéréographique, mais certains sont tronqués du fait des dimensions limitées du tympan.

B-2) Sphère locale : lignes d'égal azimut

Récapitulons tous ces tracés sur un même dessin de la mère et du tympan.

Comme on peut le voir en bas, ce tympan a été calculé pour une latitude de 48°50'. Je vous laisse deviner à quelle ville elle correspond. En rouge apparaissent les données locales alors que les autres sont en bleu. Ici, le limbe est gradué en heures.

L'Araignée

Voyons de près à quoi elle ressemble

Araignée d'un astrolabe planisphérique islamique
Araignée d'un astrolabe planisphérique islamique Broenberr, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Astrolabe ayant appartenu à Georg Hartmann (1489-1564), conservé au British Museum.
Astrolabe ayant appartenu à Georg Hartmann (1489-1564), conservé au British Museum. © The Trustees of the British Museum

Deux types d'araignées. L'araignée est mobile par rapport à la mère et au tympan en tournant autour de l'axe central.

L'araignée, elle aussi, représente deux projections stéréographiques. Eh oui, encore.

  1. D'abord une projection stéréographique de la voûte céleste avec la position d'étoiles connues. Comme les matériaux transparents n'étaient pas connus à l'époque de la fabrication des astrolables il fallut trouver une autre solution. Cette solution c'est cette grille de métal ajourée où chaque pointe correspond à la position d'un astre. Comme cette position varie au cours de l'année, l'araignée peut tourner autour de l'axe central pour positionner les étoiles correctement sur leurs coordonnées données par le tympan.
  2. Ensuite une projection stéréographique de l'écliptique (trajet du soleil). C'est ce cercle excentré par rapport à l'axe central et qui est gravé des positions du Soleil dans le zodiaque.

On trouve en haut de l'araignée un picot qui dépasse (voir photos) et qui pointe sur le limbe la position du point vernal (endroit sur l'écliptique où se trouve le Soleil le jour de l'équinoxe de printemps).

Astrolabe et mesure du temps

Nous avons vu que l'astrolable peut être utilisé dans de multiples circonstances. En ce qui nous concerne, regardons rapidement comment il peut mesure le temps, en l'occurrence les heures.

Nous avons vu dans la partie II de cette étude qu'azimut et hauteur varient tous deux en permanence en dépendant de la latitude du lieu, de la déclinaison du soleil (date) et de l'heure. Nous avons donc trois paramètres : hauteur, jour, heure. Si nous connaissons deux de ces paramètres, nous pouvons trouver le troisième. C'est le principe de calcul de l'heure avec un astrolabe.

Prenons un exemple : Nous voulons connaître l'heure d'un jour précis à un moment précis.

Nous allons, à l'aide de l'alidade trouver la hauteur du Soleil à ce moment précis. Nous connaissons le jour soit grâce à une table de conversion date-zodiaque soit directement. Repérons ce jour sur le cercle écliptique de l'araignée et, en la tournant, positionnons ce repère sur l'almucantarat correspondant à la hauteur du Soleil trouvée dans la première étape. Alignons maintenant l'ostensoir sur le jour et lisons l'heure directement sur le limbe. Facile, non ?

Sans ostensoir (astrolabes arabes), il fallait passer par une étape intermédiaire qui était une mesure à partir de l'index de l'araignée.

Quant aux heures de nuit, le principe était le même en utilisant une étoile connue sur l'araignée de l'astrolable au lieu du Soleil.

Alors, astrolabe mesureur de temps ? Certainement. Et même plus... arpenteur, boussole, indicateur de l'heure des prières, indicateur de direction de La Mecque et bien d'autres. Mais c'est une autre histoire.

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