Date et origine du Tou be’av

Dates du Tou be’av

Le Tou be’av (ou jeûne de Tevet) est prévu aux dates suivantes :

Cette fête a lieu le 10 du mois de Tevet dans le calendrier hébreu, comme son nom l'indique.

Tou be’av, d’une fête du Temple à la fête de l’Amour

Tou beav signifie en français « le 15 Av », un mois hébraïque qui tombe en juillet-août du calendrier grégorien. A l’origine jour d’offrande du bois au temple de Jérusalem, cette date larque désormais une « Fête de l’Amour » largement laïque.

L’Offrande de bois au temple de Jérusalem

Le plus ancien texte juif solennisant la date du 15 Ab est le Rouleau des jeûnes, une liste de jours fastes compilée entre la fin du Ier et le début du IIe siècle de n.è1. :

Rouleau des jeûnes 13 : « Le 15 Av, le temps fixé pour le bois des prêtres ».

Le terme hébraïque traduit en français par « temps fixé » se trouve également dans un texte biblique composé dans la deuxième moitié du Ve siècle av. n.è., le Livre de Néhémie, dans le texte d’un serment prêté par les Juifs revenus en Judée après leur exil à Babylone :

Néhémie 10,35 : « Nous – les prêtres, les lévites2 et le peuple – nous avons aussi tiré au sort, à propos de l’offrande de bois qu’on doit apporter à la Maison de notre Dieu selon nos familles aux temps fixés chaque année, afin d’allumer du feu sur l’autel du Seigneur notre Dieu, comme c’est écrit dans la Loi ».

On en déduit donc qu’au début de l’époque romaine, le 15 Av était le jour fixé par l’offrande du bois de combustible au temple de Jérusalem. Cela est confirmé par l’historien juif Flavius Josèphe qui, écrivant à la fin du Ier siècle de n. è., situe cette offrande le 14 du mois nommé Loos, équivalent grec du mois hébraïque d’Av.

Guerre des Juifs II,425 : « La fête dite du Portage du bois (en grec, Xylophories), où il était d'usage que tous apportassent du bois à l'autel pour que la flamme ne manqua jamais d’aliment : et en effet le feu de l'autel ne s'éteint jamais ».

La Mishna, une compilation rabbinique mise par écrit vers 200 de notre ère, définit également le 15 Av comme le « temps du Bois des prêtres et du peuple » mais cette date est incluse dans une série de 9 jours où, chaque année, des branchages étaient apportés au temple de Jérusalem par un groupe défini3. Le 15 Av était celui où le groupe des offrants était le plus nombreux, car il comprenait notamment les prêtres et les lévites, ce qui explique pourquoi seule cette date, où le rituel était d’une ampleur plus importante, ait était mentionné dans le Rouleau des jeûnes. Dans les Guemarot des Talmuds4, le 15 Av reçoit la dénomination alternative de « Jour de la casse de la scie »5, au motif qu’il s’agissait du dernier jour de l’année où il était possible de ramasser du bois de telle sorte qu’il soit complètement sec.

A partir du Ier siècle de n.è., l’évolution et l’accumulation des significations

Après la destruction du temple de Jérusalem en 70 de n.è., le souvenir du l’offrande du bois au Temple s’estompe progressivement chez les rabbins du Talmud, qui débattent du statut qu’il convient désormais de conférer à cette date. Si certains continuent de commémorer le jour d’une offrande de bois désormais devenue caduque6, on voir se multiplier les interprétations sur l’origine et la signification de la date du 15 Av7. 5 étiologies de la commémoration inédites sont ainsi rapportées dans les Talmuds, dont 4 reposent sur des exégèses de la Bible.

Les deux premières sont respectivement insérées dans le cycle de l’Errance des Hébreux au désert après la Sortie d’Egypte et dans celui de leur installation en Canaan. Elles célèbrent la levée de deux interdits sur les intermariages entre les 12 tribus d’Israël :

Nombres 36,5.8 : « Et Moïse, sur l’ordre du Seigneur, donna aux fils d’Israël les instructions suivantes : […] "Toute fille qui héritera d’une part dans l’une des tribus des fils d’Israël ne pourra épouser qu’un homme d’un clan de la tribu de son père" ».

Josué 21,1 : « Les hommes d’Israël avaient fait ce serment à Miçpa : «Aucun d’entre vous ne donnera sa fille en mariage à un Benjaminite» ».

Dans la mesure où dans la suite du récit biblique, l’intermariage entre tribus, y compris la tribu de Benjamin, apparaît comme légal, les rabbins considèrent que ces interdits ne concernaient en fait qu’une génération et que leur abolition a fait l’objet d’une commémoration

Deux autres hypothèses talmudiques sur la signification du 15 Av sont également insérées dans les récits de la Bible hébraïque. En premier lieu, il s’agit de la disparition de la première génération d’Israélites dans le désert, qui marque la fin des quarante années d’errance comme on le lit dans ce discours prononcé par Moïse :

Deutéronome 2,14-178 : « La durée de notre marche depuis Qadesh-Barnéa jusqu’au passage des gorges du Zéred avait été de trente-huit ans – jusqu’à ce que toute la génération des combattants ait entièrement disparu du camp, comme le Seigneur le leur avait juré ; et même la main du Seigneur avait été sur eux pour les chasser du camp, jusqu’à ce qu’ils disparaissent entièrement. Et lorsque la mort eut fait disparaître entièrement du milieu du peuple tous ces combattants, le Seigneur m’a parlé ».

Alternativement, le 15 Av est interprété en lien avec l’interdiction de se rendre en pèlerinage au temple de Jérusalem faite à ses sujets par le roi Jéroboam9, interdiction dont la tradition rabbinique attribue la levée à son successeur Osée10.

Enfin, la dernière des 5 interprétations talmudiques inédites de la fête la relie à un événement historique datant de l’époque romain : elle célébrerait l’autorisation obtenue d’enterrer les combattants juifs ayant trouvé la mort à Bétar en 135 de n.è., lors de la dernière bataille de la deuxième révolte juive contre Rome 11.

Dans le Talmud, une fête de réjouissance

Dans la Mishna, le 15 Av est défini par Siméon ben Gamaliel comme une fête de réjouissance où les filles de Jérusalem se livrent à une sorte de parade amoureuse dans les vignes environnantes :

Mishna Taanit 4,8 : « Il n’y a pas de jour plus heureux pour Israël que le 15 Av et Yom Kippour, car les jeunes filles de Jérusalem avaient coutume de se vêtir de blanc, et de sortir pour danser dans les vignes, en disant : «Jeunes hommes, regardez et observez celle que vous allez choisir [comme épouse]» ».

Cette description est immédiatement mise en relation par les rabbins avec un livre biblique, le Cantique des Cantiques.

Cantique des Cantiques 3, 11: « Sortez admirer, filles de Sion, le roi Salomon avec la couronne dont le couronne sa mère au jour de son mariage : au jour où son être est dans la joie »

Les rabbins font de ces descriptions une interprétation purement religieuse en voyant derrière ces formules une double référence au Don divin des Tables de la Loi et à la construction du temple du premier temple de Jérusalem par le roi Salomon. Dans les Guemarot, le lien entre ces épisodes et la signification originelle de la fête, l’Offrande du bois, est explicitée : la joie qui caractérise ce jour provient du fait que le temps que les fidèles ne passaient plus à scier du bois pour le Temple.

Une fête de l’Amour largement laïque

Par ailleurs, la tradition rabbinique a vu dans la description des danses de jeunes filles dans les vignes une référence à l’épisode biblique rapporté dans le Livre des Juges, celui du rapt des filles de Silo par les hommes de la tribu de Benjamin :

Juges 21,15 : « Le peuple fut pris de pitié pour Benjamin, car le Seigneur avait fait une brèche dans les tribus d’Israël. Les anciens de la communauté dirent alors : "Que ferons-nous pour que ceux qui restent aient des femmes, puisque les femmes de Benjamin ont été exterminées ? Benjamin peut-il avoir une postérité, dirent-ils, pour qu’une tribu ne soit pas effacée d’Israël ? Nous-mêmes ne pouvons pas leur donner de nos filles en mariage". En effet, les fils d’Israël avaient fait ce serment : «Maudit soit celui qui donnera une femme à Benjamin». Mais ils dirent : "Il y a chaque année la fête du Seigneur à Silo, qui est au nord de Béthel, à l’est de la route qui monte de Béthel à Sichem, et au sud de Levona". Puis ils donnèrent cet ordre aux fils de Benjamin : "Allez-vous embusquer dans les vignes ! Vous regarderez, et dès que les filles de Silo sortiront pour danser en chœurs, vous sortirez des vignes et vous vous emparerez chacun d’une femme parmi les filles de Silo, puis vous vous en irez au pays de Benjamin. Si, par hasard, leurs pères ou leurs frères viennent nous chercher querelle, nous leur dirons : “Soyez généreux envers eux, car aucun d’entre nous n’a pris de femme lors de la guerre ; de plus, vous-mêmes, vous ne pouviez pas leur en donner ; autrement, vous auriez été coupables”". Les fils de Benjamin agirent ainsi. Parmi les danseuses qu’ils avaient enlevées, ils emportèrent des femmes en nombre égal au leur. Ils partirent, retournèrent dans leur patrimoine, reconstruisirent leurs villes et y habitèrent ».

Illustration de l’épisode biblique du rapt des filles de Silo dans la Bible des Croisés (manuscrit chrétien du XIIIe)
Illustration de l’épisode biblique du rapt des filles de Silo dans la Bible des Croisés (manuscrit chrétien du XIIIe) MS M.638, fol. 17r / © Morgan Library and Museum

Des reconstitutions de ces danses sont actuellement organisées le jour de la fête en Israël, et notamment sur le site de Silo. Toutes ces traditions liées à la formation de couples ont contribué à transformer le 15 Av en fête de l’Amour (en hébreu, Hag Ha-Ahava), et de nombreux mariages sont célébrés ce jour-là. Depuis quelques décennies, cette journée, qui tombe en plein cœur de l’été, est souvent l’occasion de festivals de musiques et de fêtes durant toute la nuit. La description talmudique de la fête, qui mentionne des vignes, a donné lieu à quelques tentatives de réinterprétation de cette journée en fête agricole mais cette dimension reste très secondaire.

Il n’y pas de rituel spécifique accompli lors du 15 Av : à cause de son caractère de jour de réjouissance, les fidèles d’abstiennent en général de jeûner, et les supplications d’usage sont supprimées de l’office synagogal.

Maureen Attali

Références

  1. Il n’existe pas d’édition scientifique ni de traduction récente du Rouleau des jeûnes en français. On pourra consulter la traduction qu’en donna au XIXe siècle Moïse Schwab, « La Meghillath Taanith : ou «anniversaires historiques» » in Actes du onzième Congrès international des orientalistes : Quatrième section, Hébreu-Phénicien-Araméen-Ethiopien-Assyrien, Paris, Ernest Leroux, 1898, p. 199-259, consultable en ligne à l’adresse suivante https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65802736.

  2. Dans la Bible, les lévites, une tribu constituée descendants de Lévi, le 3e fils de Jacob, sont dévolus au service du temple, vraisemblablement comme auxiliaires des prêtres.

  3. Mishna Taanit 4,5.

  4. Il existe deux Talmuds, respectivement dits « Talmud de Jérusalem « et » Talmud de Babylone ». Chacun d’entre eux associe la Mishna, une compilation légale réalisée vers 200 de notre ère, à des commentaires et des compléments différenciés, nommés Guemarot. Le Talmud de Jérusalem est achevé vers 400 et le Talmud de Babylone vers 600 de notre ère.

  5. Talmud de Babylone, Taanit 31a.

  6. Voir notamment Tosefta Taanit 3,6 et Talmud de Jérusalem, Taanit 4,4.

  7. Toutes ces interprétations sont exposées successivement en Talmud de Jérusalem, Taanit 4,7-8 et Talmud de Babylone, Taanit 30b-31a.

  8. La sentence divine de mort de tous les Hébreux adultes sortis d’Egypte est initialement prononcée en Nombres 14,26-35.

  9. D’après 1 Rois 12,26-31, après la division des tribus en un royaume du Nord nommée Israël et un royaume du Sud nommé Juda, le 1er roi du Nord, Jéroboam, chercha à empêcher ses sujets de se rendre au temple de Jérusalem, situé dans le royaume du Sud.

  10. Talmud de Babylone Gittin 88a.

  11. Il s’agit de la révolte de Bar Kochba, qui eût lieu de 130-131 à 135 de n.è. Le récit de la prise de Bétar par les Romains est rapporté en Talmud de Babylone, Gittin 57a ; celle-ci est commémorée annuellement lors du jeûne de Tisha beav. Sur la révolte, on pourra consulter Simon Mimouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère, Paris, Presses Universitaires de France, 2012, p. 520.

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