Le calendrier viking

Cette page aurait pu tout aussi bien s'appeler Le calendrier islandais ou même Le calendrier scandinave.

En effet, même si j'avoue ne pas avoir trop vérifié, je pense qu'il correspond au calendrier ancien des pays scandinaves (Suède, Norvège, Danemark et Islande).

Mais, reconnaissons que Le calendrier viking a un parfum d'aventure accrocheur. En tout cas, il a pour avantage de bien situer l'époque que nous allons étudier.

Un brin d'histoire

L'origine du mot Viking n'est pas très claire. L'étymologie la plus vraisemblable est celle qui rapproche le terme du vieux nordique vik qui signifie baie. Le vikingr aurait donc été un pirate qui fréquentait les baies.

La période Viking, selon les historiens, se situerait en effet de l'année 793, date de la mise à sac par les Danois de l'abbaye de Lindisfarne en Angleterre, à l'année 1050. Certains même situent la fin de cette période à l'année 1066 avec la mort de Harald Hardada à la bataille de Hastings remportée par Guillaume le Bâtard (ou Le Conquérant) sur Harnold de Wessex. Mais il s'agirait en fait d'un événement Normando-Normand.

Comme toutes les pages de ce site, celle-ci n'a pas pour vocation d'étudier dans le détail l'histoire des Vikings. Pour cela, il existe de très bons site dont fait partie celui de Patrice Vaineau qui nous dit tout sur les Vikings. Si nous en sommes encore à une vision d'un peuple barbare et inculte, il vaut mieux pour nous de faire cette petite visite.

Notre volonté sur cette page est, plus modestement, de prendre connaissance du contexte dans lequel a grandi le calendrier islandais.

Et si on part d'un principe évident que des connaissances astronomiques sont indispensables pour naviguer ou pratiquer le cabotage, nous allons être servis. Et comme un calendrier ne se construit pas sans connaissances astronomiques, nous allons nous poser des questions.

En attendant, commençons notre brin d'histoire et découpons celle des Vikings en grandes périodes.

Les «expéditions» vikings, au cours de ces périodes, vont suivre trois itinéraires distincts :

  1. La route du nord (nordrvegr) avec du cabotage le long des côtes de la Baltique dont le Danemark et la Suède ainsi que des équipées à travers l'Atlantique.
  2. La route de l'ouest (vestrvegr) en partant du Danemark et de la Norvège en direction des îles Nord-Atlantique, de l'Islande (871-930), du Groenland, de l'Amérique du nord sans oublier le cabotage sur les côtes de Hollande, Belgique, France, Espagne, Italie, Grèce.
  3. La route de l'est (austrvegr) qui part de Finlande vers les Lacs Russes et la Mer Caspienne.

Le calendrier

Si nous voulons mieux comprendre la structure du calendrier islandais, il nous faut oublier nos notions modernes de mois et d'année pour nous en mettre d'autres en tête :

Première division du temps

Partant de là, on comprend mieux que leur première division du temps soit la «saison» appelée Misseri. Chaque misseri représentait approximativement la moitié de notre année. L'une était baptisée sumar (été) et l'autre vetr (hiver). Mais ne nous y trompons pas, ces misseri sont moins des saisons au sens climatique du terme qu'un mot pour nommer une période de temps.

On retrouve dans l'Edda poétique (ou ancienne Edda qui regroupe des poèmes composés entre les VIIe et XIVe siècles) quelques lignes sur cette division de «l'année» en deux périodes. Plus précisément, c'est dans le Vafþrúðnismál ("Les dits de Vafþrúðnir") qu'on trouve la conversation entre Odin (Óðinn) et Vafthrudnir (Vafþrúðnir) :

26. [Óðinn dit :]
« Dis-moi en quatrième,
Puisque tous te disent sages,
Si tu sais, Vafþrúðnir,
D’où vint l’hiver
Ou le chaud été
La première fois, sagace géant ? »

27. [Vafþrúðnir dit :]
« Vindsalvr se nomme
Celui qui est le père de l’hiver,
Mais Svásuðr l’est de l’été. »

Notons au passage, pour la petite histoire, que dans la même Edda, on apprend que Mundilferi est père de la Lune (Mani) et du Soleil (Sol). Mais contrairement à ce qu'on peut penser, c'est la Lune le fils et le Soleil la fille.

Seconde division du temps

Comme nous l'avons vu plus haut, la seconde division du temps sera tout naturellement la semaine. Chaque jour portait un nom et nous pouvons dresser le tableau des jours de la semaine.

Jour français Jour "viking" Signification
Dimanche Sunnudagr Jour du Soleil
Lundi Mánadagr Jour de la Lune
Mardi Týsdagr Jour de Tyr
Mercredi Óðinsdagr Jour de Odin
Jeudi Þórsdagr Jour de Thorr
Vendredi Frjádagr Jour de Freya
Samedi laugardagr Jour de "lessive"

Cohabitation des deux divisions

Faute de mieux, nous allons appeler année le groupe constitué par les deux misseri été-hiver.

Cette année comptait 364 jours groupés en 52 semaines. 26 de ces semaines constituaient le misseri été et les 26 autres le misseri hiver. Du moins pour les années régulières car nous nous doutons bien qu'il y avait des années plus longues puisque 364 jours sont loin de faire 365,25 jours, durée d'une année tropique.

Les mois

Eh oui ! Il faut bien le dire, les mois existaient aussi dans le calendrier islandais. Et là, deux écoles proposent des hypothèses différentes.

La première hypothèse est que le mois islandais était identique au mois que nous connaissons c'est-à-dire une période de l'année bien précise avec un nombre de jours précis. L'année aurait compté 12 mois de 30 jours auxquels on ajoutait 4 jours hors mois, deux en été, deux en hiver. On retrouve ici le calendrier égyptien avec ses 12 mois de 30 jours. La différence est dans les jours épagomènes qui seraient de 4 dans le calendrier islandais(semaines obligent) contre 5 dans le calendrier égyptien.

La seconde hypothèse est que le mois islandais n'a pas grand chose à voir avec notre notion moderne et qu'il désignait plutôt une période sans grandes limites fixes. Un peu comme il nous arrive de dire "pendant les les vacances d'été". On comprend ce qu'on veut dire sans pour autant borner la période.

Mais pourquoi donc s'embarrasser de cette notion de mois ? L'explication serait qu'un calendrier lunaire aurait été importé, peut-être apporté par les Vikings, en Islande. Ses habitants l'auraient utilisé quand ils pouvaient, c'est-à-dire quand la Lune était observable, en hiver particulièrement. Pour le reste de l'année, ils auraient utilisé la semaine. Ce phénomène aurait duré jusqu'au moment où la seule semaine aurait remplacé le couple semaine/mois. Bine entendu, les mois sont revenus en force lors de l'adoption du calendrier julien.

Dressons la tableau des mois de l'année sans trop préciser les dates de début mais juste la période couverte dans le calendrier grégorien.

Mois Période couverte Mois Période couverte
Mörsugur
Décembre-Janvier Sólmánuður
Juin-Juillet
Þorri
Janvier-Février Heyannir
Juillet-Août
Góa
Février-Mars Tvímánuður
Août-Septembre
Einmánuður
Mars-Avril Haustmánuður
Septembre-Octobre
Harpa
Avril-Mai Gormánuður
Octobre-Novembre
Skerpla Mai-Juin Ýlir Novembre-Décembre

Les semaines complémentaires

Comme nous l'avons vu dans notre brin d'histoire, les Vikings étaient assez avancés en connaissances astronomiques pour se satisfaire d'une année de 364 jours. Il semble que, dans les premiers temps, ils se contentaient d'ajouter de temps à autre un jour ou deux à l'année pour éviter une dérive trop importante du calendrier. Mais cette solution n'était pas satisfaisante, d'une part parce qu'elle ne permettait pas d'avoir un calendrier fixé dans le temps et d'autre part parce que les jours ajoutés étaient forcement hors toute semaine.

La solution vint de l'Althing, assemblée plénière qui siégeait annuellement en plein air dans le site de Thingvellir (« plaines de l’assemblée »), au sud-ouest de l’île et qui fut créé en 930.

Le site de Thingvellir où siégeait en plein air le premier "parlement" en Europe, l'Althing. C'est aussi sur ce site hautement symbolique que fut proclamée l'indépendance de l'Islande le 17 juin 1944.
Le site de Thingvellir où siégeait en plein air le premier "parlement" en Europe, l'Althing. C'est aussi sur ce site hautement symbolique que fut proclamée l'indépendance de l'Islande le 17 juin 1944. Diego Delso / CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Ari Þorgilsson «le sage» dans son «histoire de l'Islande» (Islendingabók) écrite vers 1120 nous relate la réforme qui fut mise en place par l'Althing en 955 :

... les hommes les plus sages du pays avaient compté 364 jours ou 52 semaines dans deux semestres- alors qu'ils ont observé, du fait du mouvement du Soleil, que l'été se déplace vers le printemps...*

Il y avait un homme appelé Thorsteinn le Noir, un homme très sage. Quand ils sont venus au Althing, il chercha un remède qu'ils doivent ajouter une semaine à chaque septième été et d'essayer de voir comment cela marcherait...

*Dans un décompte correct, il y a 365 jours dans une année si ce n'est pas une année bissextile qui en compte un de plus. Mais, dans notre décompte, il y a 364 jours. Mais quand dans notre décompte une semaine est ajoutée tous les 7 ans, 7 ans sont de même longueur dans les deux comptes. Mais s'il y a deux années bissextiles entre les deux devant être augmentées, vous devez augmenter la sixième.

Pour être plus clairs et pour résumer, Thorsteinn le Noir proposait d'ajouter une semaine (appelée Sumarauki) au misseri été tous les 7 ans. Cette méthode, différente des années bissextiles du calendrier julien, avait pour énorme avantage de respecter la notion de semaine.

Dans la deuxième partie de son texte (en rouge), Ari Thorgilsson explique les modifications faites lors du passage de l'Islande au calendrier julien vers l'an 1 000 : s'il y a deux années bissextiles (juliennes) entre les années devant être augmentées d'une semaine (calendrier islandais), alors on insère la semaine complémentaire après le sixième été au lieu du septième.

La première règle nous donne une année moyenne de (7 X 364) + 7 = 2555/7 = 365 jours.
La seconde règle, pas très simple à interpréter, tend à ramener la longueur moyenne de l'année plus près de celle de l'année tropique.

Mais pourquoi, tout simplement, n'a-t-on pas intercalé une semaine tous les six ans ? Ce qui nous donnerait une année moyenne de (6 X 364) + 7 = 2191/6 = 365,17. Et d'appliquer ensuite la seconde règle ?

C'est la question que s'est posé Þorsteinn Vilhjálmsson dans un article de Archaeoastronomy datant de 1991. Et il s'est demandé s'il ne fallait pas prendre l'acception 'dans sept ans' comme on le faisait à l'époque, c'est à dire en comptant l'année de départ du décompte pour l'an 1 de ce décompte. Un peu comme on dit encore 'dans huit jours' pour dire 'dans une semaine' c'est à dire... dans sept jours. Le débat est ouvert.

Il n'en reste pas moins vrai que pendant un cycle de 28 ans, ce sont 5 années pleines de 371 jours qui furent ajoutées.

Dans le Grágás (recueil de lois et de coutumes du XIII ème siècle qui reprend les codes antérieurs) on trouve une règle d'application qui veut que le premier jour de sumar (misseri été) commence toujours un jeudi entre le 9 et le 15 avril. Quant à vetr (misseri hiver), il débute un samedi entre le 11 et le 18 octobre. Si ces règles ne sont pas applicables, un ajoute une semaine.

Début de l'année et début de l'époque

Notons que le calendrier julien fut adopté progressivement à partir de l'an 1 000 et que le passage au calendrier grégorien se fit en 1 700 en Islande.

Le primstav

Nous ne pouvons quitter les calendriers scandinaves sans évoquer le primstav, ce calendrier gravé sur un bâton à section carrée ou sur une réglette à deux faces.

Les premiers exemplaires connus datent d'environ 1 200 et donc après l'époque Viking. Ils seront d'usage jusqu'en 1 700 environ.

Primstav conservé au Musée nordique à Stockholm, en Suède
Primstav conservé au Musée nordique à Stockholm, en Suède Bohm, Ingvar / Nordiska museet / CC-by-nc-nd

Primstav, Rimstock, Runstaf selon les pays (Clogs en Angleterre), ces calendriers étaient tous construits selon le même modèle.

Chaque face représentait une saison (4 faces pour ceux construits selon le calendrier julien, 2 faces pour ceux conçus sur le mode «classique»), le bas de chaque face était gravé en semaines, les jours étant au dessus.

Ils étaient gravés de motifs symboliques certainement aussi connus que le sont par nous les panneaux de signalisation. Ils permettaient ainsi de se repérer dans le temps, dans la saison et dans l'année.

Pour ceux qui veulent tout savoir sur ces symboles, c'est ici.

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