Les systèmes de datation

En guise d'introduction

Qu'ils soient solaires, lunaires ou luni-solaires, les calendriers sont construits à partir d'une unité principale qui est l'année.

Il nous semble maintenant logique de nous repérer dans le temps, qu'on suppose linéaire, à l'aide du millésime. La Bastille a été prise en 1789. La bataille de Marignan s'est déroulée en 1515. Le concile de Nicée eut lieu en 325.

Mais, si on pouvait demander à un des pères réunis à Nicée en quelle année eut lieu ce concile, il nous aurait répondu «sous Constantin le Grand et sous le consulat des illustrissimes Paulin et Julien.» C'était peut-être clair pour eux mais beaucoup moins pour nous. Et, à moins de savoir quand Paulin et Julien furent consuls, nous ne sommes guère avancés. Difficile, avec ce système, de savoir quel événement précède quel autre.

Ce sont ces systèmes de datation que nous allons essayer de recenser dans cette étude. Plus particulièrement ceux qui ont précédé la numérotation des années telle que nous la connaissons.

Cette page n'a aucune prétention «chronologique». Son seul but est de nous permettre de comprendre un peu mieux comment on pouvait se repérer dans le temps avant l'arrivée de la numérotation linéaire des années et, peut-être, d'apprécier un peu mieux notre système actuel.

Le décompte des années en Mésopotamie

Au fil des siècles et des différentes influences, la Mésopotamie connut pratiquement tous les systèmes de datation qu'on puisse inventer. Comme nous allons le voir ces systèmes étaient quelquefois successifs mais aussi souvent utilisés concomitamment.

Les noms d'années

Le système consistait à donner à l'année en cours le nom d'un événement remarquable (souvent d'ordre militaire ou religieux) s'étant produit l'année précédente.

On trouve ainsi des années nommées de la manière suivante :

Année où Samsuiluna (devint) roi
Année où il établit la liberté (des taxes) à Sumer et en Akkadie
...
Année où les murs d'Isin furent démolis
Année sous le commandement d'Enlil
Année suivant l'année sous le commandement d'Enlil

Cet extrait d'une tablette du British Museum parle du règne de Samsuiluna (Roi de Babylone approx. de 1749 à 1711 avant J.C.) qui succéda à Hammurabi.

On peut trouver d'autres listes, par exemple pour les rois de la première dynastie d'Isin (approx. de 2017à 1794 avant J.C), ici.

Ce système, utilisé à la fois par les Sumériens et les Babyloniens se pratiqua depuis les rois d'Agadé (XXIVe siècle av. J.-C.) jusqu'à la fin de l'époque paléo-babylonienne (1595 av. J.-C).

Ces listes d'années, conservées dans les différentes Cités, peuvent être rapprochées d'autres listes totalisant les années de règne des différents rois (voir un exemple ici).

Et, pendant que j'en suis aux liens vers des sites, j'ajoute qu'on peut trouve ici les listes chronologiques des souverains de Mésopotamie de 2700 à 525 av. J.-C.

Les noms de personnalités

Le système était une «spécialité» assyrienne (non pratiquée par les Babyloniens) et consistait à donner à l'année en cours le nom d'un haut personnage occupant des fonctions officielles cette année là. Cette personnalité était le Limmu (ou Lîmu). En fait, ce n'est ni plus ni moins qu'un éponyme avant la lettre.

Le Limmu était tiré au sort parmi des personnages influents comme le commandant en chef, le grand Vizir, le chef des musiciens, le chef des eunuques ou les gouverneurs des cités et provinces. Bien entendu, le roi lui-même était limmu la première année de son règne.

On trouve des listes complètes de Limmus pour les périodes 1876-1784 et 858-700. On peut les consulter ici.

Il arrivait quelquefois qu'un commentaire était ajouté au nom du Limmu. C'est ainsi que pour la liste 858-699 ici on peut lire que pendant l'année portant le nom du Limmu Bur-Saggile, gouverneur de Guzana, il y eu une éclipse durant le mois Simanu. Cette indication a permis de dater l'événement du 15 juin 763 avant J.C.

Les années de règne

Ce système, utilisé dès l'époque sumérienne, devient la norme chez les Babyloniens (et les Perses) depuis le milieu du IIe millénaire avant J.C. et se poursuivra jusqu'à l'époque hellénistique où on adopta le principe d'ère (séleucide ou autre comme ici) sans distinguer le souverain régnant.

Le principe est simple : on numérote les années depuis l'accession au trône du souverain régnant.

La seule difficulté est de savoir ce qu'il en est de l'année où ce souverain accède au trône quand c'est en cours d'année et quelle est l'année 1 du règne.

En fait, il existe deux systèmes et nous détaillerons le second lors de l'étude du décompte des années en Égypte.

Les Babyloniens et Perses appelaient resh sharruti la partie d'année entre le décès (ou autre événement qui met fin à son règne) de l'ancien roi et le début de l'année complète suivante. C'était son «année d'accession» sans numérotation particulière. Elle reste donc aussi la dernière année numérotée de l'ancien roi pour la période de cette année pendant laquelle il a régné.

L'année 1 commence donc le premier jour de l'année suivante.

Prenons un exemple dans la «chronologie babylonienne» de Parker et Dubberstein.

Nabopolassar est mort le 8 abu dans la 21eannée de son règne (12 avril 605 av. J.-C. dans le calendrier julien). Son fils Nabuchodonosor II lui a succédé sur le trône le 1 ululu de... son année d'accession (7 septembre 605 av. J.-C. dans le calendrier julien).

Ce n'est que le 1 nisanu de l'année suivante (22 mars 603 av. J.-C.) que nous serons dans la première année du règne de Nabuchodonosor II.

Ce système de décompte avec une année d'accession n'a, en fait, rien de bien compliqué. Le problème est, pour les historiens, de savoir si les documents qu'ils étudient ont été rédigés dans un système ou dans l'autre.

Le décompte des années en Égypte

Les Egyptiens, comme les Babyloniens, utilisèrent le système des années de règne.

En revanche, le décompte différait tout de même dans la mesure où ils considéraient comme année 1 du règne l'année même de l'accession du pharaon au trône. Le nouveau souverain était donc crédité de cette année alors que la dernière année de règne de son prédécesseur se terminait l'année précédente. Mais il arrive de trouver des textes du type "au mois de Athyr de la deuxième année d'Hadrien qui est la première de celle d'antonin César".

Une des difficultés de ce décompte est celle de savoir à quoi correspond exactement une année de règne.

Elle correspond généralement à l'année civile égyptienne. Mais il semble que, durant le Nouvel Empire, le début de l'année de règne correspondait au jour anniversaire de l'accession du souverain au trône.

Et même si l'année de règne correspond à l'année civile, il faut encore se demander si le début de cette année de règne «officiel» était bien au 1 thot. Parce que, à l'époque ptolémaïque (avant Ptolémée V où le calendrier macédonien et le calendrier égyptien ne firent plus qu'un), c'est le calendrier macédonien qui était devenu le calendrier «officiel».

Si on considère toutes les déclinaisons possibles de ce système, notamment en ce qui concerne le début de l'année, on comprend mieux ce que veut dire Chris Bennett (site ici) quand il écrit, concernant l'époque ptolémaïque : "Il y avait quatre systèmes de datation des années [...] Les années de règne égyptiennes, l'année financière égyptienne, les années de règne macédoniennes, et les années de règne d'Auguste."

Un exemple : la pierre de Palerme

Comme son nom l'indique, cette pierre en basalte se trouve au musée archéologique de Palerme.

Ce n'est, en fait, qu'un fragment (hauteur 43 cm, largeur 25 cm) d'une dalle rectangulaire plus grande. Ses deux faces portent les Annales royales depuis les premiers rois égyptiens jusqu’à la Ve dynastie.

Chaque «ligne» est divisée en trois partie qui comportent, de haut en bas, le nom du roi, des événements importants de chaque année et la hauteur de la crue du Nil.

Intéressons nous aux années. Elles sont représentées sous forme de rectangles séparés les uns des autres par une ligne qui se termine par une courbe orientée vers la gauche. C'est le signe d'une feuille de palmier et le symbole de l'année.

Chaque "ligne" est divisée en trois parties qui comportent, de haut en bas, le nom du roi (jaune), des événements importants de chaque année (en bleu) et la hauteur de la crue du Nil (en bleu).<br />
Le contenu du cadre rouge a été agrandi dans les images du bas.
Chaque "ligne" est divisée en trois parties qui comportent, de haut en bas, le nom du roi (jaune), des événements importants de chaque année (en bleu) et la hauteur de la crue du Nil (en bleu).
Le contenu du cadre rouge a été agrandi dans les images du bas. H. Schäfer, Ein Bruchstück Altägyptischen Annalen, Berlin 1902, pl. 1

Les années sont représentées sous forme de rectangles séparés les uns des autres par une ligne qui se termine par une courbe orientée vers la gauche. C'est le signe d'une feuille de palmier et le symbole de l'année.

Détail d'un changement de souverain dans la pierre de Palerme
Détail d'un changement de souverain dans la pierre de Palerme H. Schäfer, Ein Bruchstück Altägyptischen Annalen, Berlin 1902, pl. 1

On constate que l'année centrale est divisée en deux par une ligne droite qui se prolonge verticalement au dessus du rectangle de l'année. Cette ligne représente tout simplement un changement de souverain. En l'occurrence, puisque les hiéroglyphes se lisent de droite à gauche il s'agit du passage du règne de Khâsekhemoui (dernier souverain de la IIe dynastie thinite) à celui de son fils Djéser.

Cet événement est daté dans la partie droite du rectangle : deux croissants pour 2 mois. Deux U renversés pour deux fois 10 jours et trois traits verticaux pour trois jours. Le changement de règne a donc eu lieu deux mois et 23 jours après le début de l'année soit 83 jours.

Ce petit exemple confirme le système de datation que nous avons vu plus haut : un année peut être à la fois la première du début d'un règne et la dernière du précédent.

Le décompte des années en Grèce

Nous ne reviendrons pas sur les Olympiades, cycle utilisé tardivement (IIe siècle av. J.-C.), dont nous avons déjà parlé ici sauf pour préciser que l'année olympique se déroulait du milieu de l'été (probablement au solstice d'été) au milieu de l'été suivant.

À défaut d'avoir trouvé un site listant ces olympiades, les formules pour passer d'une année du cycle à l'année julienne ou inversement sont les suivantes :

En revanche, on trouve aussi chez les Grecs un système de datation qui correspond au système de Limmu assyrien.

Chaque année se voit associée au nom d'un personnage occupant dans le même temps des fonctions administratives, politiques ou religieuses.

Et comme la coordination des calendriers entre Cités-Etats n'est pas le sujet favori des Grecs, on va voir naître une sorte de «triangulation chronologique» pour s'y retrouver au mieux dans la succession des années.

Pour découvrir toutes ces références à des éponymes, prenons quelques exemple dans La guerre du Péloponnèse de Thucydide.

Le passage le mieux connu est certainement celui-ci : "Au cours de la quinzième année, Khrysis étant prêtresse à Argos depuis quarante-huit ans, Aenêsias étant éphore à Sparte et Pythodôros ayant encore à exercer l'archontat à Athènes pendant quatre mois [...]) 2.2.1

On découvre dans cet exemple la «triangulation chronologique» au travers de trois noms :

Les prise de charge des fonctions des archontes et éphores correspondaient-elles avec le début de l'année civile ? Heureux celui qui serait capable de répondre avec certitude à cette question.

Le problème est tellement complexe, même pour les Grecs, que Thucydide en personne y ajoute la référence à un «calendrier saisonnier» qui lui semble plus précis que les archontats :

5.20.1-2 : Cette paix fut conclue à la fin de l'hiver, au commencement du printemps, aussitôt après les fêtes de Dionysos, celles qui se célèbrent dans la ville.* [...] *Cette méthode manque d'exactitude, car un fait peut s'être produit indifféremment au commencement ou au milieu ou à un moment quelconque de leur magistrature. Mais en comptant, comme je l'ai fait, par étés et par hivers, on s'apercevra, puisque le total de ces saisons forme l'année, que cette première partie de la guerre s'est étendue sur dix étés et autant d'hivers.

Et nous n'en avons pas fini avec les éponymes qui donnent leur nom à l'année puisqu'on peut lire :

4.118.12 : Le peuple athénien, la tribu Akamantide étant prytane, Phsenippos greffier, Nikiadès épistate, sur la proposition de Lakhès a décidé ce qui suit [...]

Les fonctions des prytanes et épistates sont expliquées ici sur Wikipédia. Cette fois, nous sommes dans un décompte politique des années qui va jusqu'à pointer un jour précis puisque l'épistate change quotidiennement.

Pas facile de s'y retrouver dans les années grecques si on ne connaît pas par cœur la liste des éponymes de tous bords.

Le décompte des années à Rome

Bien que cette «numérotation» des années par listes d'éponymes présente ce gros désavantage de devoir connaître la liste par cœur, on va retrouver un système identique à Rome.

Cette fois, ce sont les consuls (au nombre de deux) qui servent à se repérer, vaille que vaille, dans la suite des années.

On peut trouver sur wiki ces listes de consuls. Elles portent le nom de fastes consulaires.

Ces listes furent particulièrement utilisées par Tite-Live dans son Histoire de Rome (Ab urbe condita). Il faut préciser qu'il fut aussi lui-même auteur de telles listes non sans se plaindre de la difficulté de leur conception :

TITE LIVE (II, 21) Mort de Tarquin le Superbe : [...] Durant les trois années suivantes, il n'y eut ni paix ni guerre réelles. Les consuls furent Quintus Clélius et Titus Larcius ; puis Aulus Sempronius et Marcus Minucius, sous lesquels eut lieu la dédicace du temple de Saturne et l'institution de la fête des Saturnales. Ils eurent pour successeurs Aulus Postumius et Titus Verginius. Je trouve dans quelques auteurs, que ce fut cette année seulement qu'eut lieu la bataille du lac Régille; que Aulus Postumius, se défiant de son collègue, abdiqua le consulat et fut créé dictateur. La diversité des traditions sur la succession des magistrats expose à tant d'erreurs chronologiques qu'on ne peut, à une si grande distance des événements et des historiens, déterminer avec certitude les consuls et les faits de chaque année.

On va aussi retrouver les années de règne comme système de décompte des années. Il s'agit, bien entendu, des années de règne des empereurs.

Nous n'allons pas quitter Rome sans évoquer la carrière des honneurs (cursus honorum) qui, bien que n'étant pas utile dans le décompte des années de manière générale, permettait de «poser des jalons» dans la vie d'un individu précis.

Ces honneurs étaient gérés dans un ordre précis et en respectant un âge minimum pour chacun d'eux.

Pour en savoir plus, voir ici.

À partir du nombre d'années qu'un individu occupe dans la charge, on peut établir son «pedigree» :

Tacite - Annales Jugements sur Auguste (1,9) : Auguste lui-même devint le sujet de mille entretiens. [...] On comptait ses consulats, égaux en nombre à ceux de Marius et de Valerius Corvus réunis, ses trente-sept années consécutives de puissance tribunitienne, le nom d'Imperator reçu vingt et une fois, et tant d'autres honneurs ou souvent réitérés ou entièrement nouveaux.

Le décompte des années par les Hébreux et les Juifs

S'y retrouver dans les différents systèmes de datation utilisés par les Juifs au fil des siècles n'est pas une mince affaire.

Aussi nous allons, plus modestement, tenter seulement une première approche de ces systèmes qui se croisent, se complètent quand ils ne se contredisent pas.

Si nous allons quelquefois évoquer la Bible, notre étude n'a aucune vocation d'esquisser une chronologie biblique. Pour ma part, je partage d'ailleurs entièrement ce que dit Christian Robin (Directeur des études sémitiques anciennes. CNRS) : «La Bible n'est pas un manuel d'histoire».

Comment commencer ?

Le mieux est peut-être de partir d'un texte recensant les différents systèmes utilisés et de les examiner les uns après les autres en notant les difficultés qui s'y rattachent.

Le texte est celui du Rabbin Baruch Epstein (1860-1941) auteur de Torah Temimah qui est un commentaire de la Torah : "Ainsi était la coutume de compter les années depuis la Sortie d'Égypte jusqu'à l'édification du Temple de Jérusalem par Salomon. Puis, ils ont continué de compter d'après cette date. Après sa destruction, ils ont continué de compter selon les années en exil. Par la suite, ils compteront d'après les années des règnes : la deuxième année du règne de Darius II..ou bien, la deuxième année du règne de Nabuchodonosor II..etc. De nos jours nous comptons les années depuis la Création du monde."

On retrouve dans cette phrase les différents moments clés de l'histoire juive : sortie d'Égypte, construction du Temple, déportation. Il manque juste la reconstruction et la nouvelle destruction du Temple. Et on ne peut pas passer sous silence le système jubilé/jachère dont nous parlerons plus loin.

Et on ne peut pas, non plus, manquer de remarquer que, à part la datation à partir de l'ère du monde (Anno mundi) qui se veut universelle et à part les années de règne, tous les autres systèmes sont proprement juifs.

Un peu de ménage

À moins de voir des systèmes de datation et des ères partout on ne peut considérer comme «nouveau» système" une référence à une donnée temporelle isolée. Encore faut-il que le décompte à partie de cette donnée (règne ou événement) soit largement utilisé et pérenne.

Nous allons donc éliminer la sortie d'Égypte de nos systèmes de datation. Certes, on trouve cette référence dans 1 Rois,6,1 ("Ce fut la quatre cent quatre-vingtième année après la sortie des enfants d'Israël du pays d'Égypte que Salomon bâtit la maison à l'Éternel...") mais c'est plutôt une référence isolée.

Il en est de même pour la construction et la destruction du premier Temple.

En revanche, selon Jack Finegan (Handbook of biblical chhronology) une ère aurait été utilisée jusque dans les écrits du Moyen Âge. C'est l'ère de la destruction du Temple (second temple) dont le début se déroule ainsi

Année de l'ère Début de l'année Fin de l'année
1 9 Ab = 5 août 70 30 Elul = 24 septembre 70
2 1 Tishri = 25 septembre 70 29 Elul = 13 octobre 71
3 1 Tishri = 14 octobre 71 30 Elul = 2 octobre 72
4 1 Tishri = 3 octobre 72 29 Elul = 21 septembre 73
5 1 Tishri = 22 septembre 73 29 Elul = 10 octobre 74

Nous reviendrons plus loin sur le 1 Tishri comme début d'année à partir de l'année 2 de l'ère.

Années de règnes et ère seleucide

A) Les années de règne

Les Juifs, comme les Babyloniens et les Égyptiens, pratiquèrent le système d'années de règne.

Et comme nous avons étudié de près ce système, il devrait nous suffire de dire que l'an un du règne est celui de l'année d'accès au trône du futur roi. Mais, ce serait trop simple et il nous faut y regarder d'encore plus près pour découvrir quelques difficultés qui en sont encore de nos jours.

L'origine de ces difficultés peut se résumer sous forme d'une seule question : quel est le début de l'année dans le décompte des années de règne ? Pour le dire autrement, quel jour du calendrier passe-t-on d'une année de règne à l'année suivante ?

Nous allons trouver une début de réponse dans la Mishna (la Mishna étant la codification de la loi orale ; elle fut publiée vers 200 ap. J.-C.) et plus précisément dans le traité roch hachana qui dit que "Il y a quatre débuts d'année : le premier du mois de Nissan [est] le nouvel an pour les Rois et les festivals. Le premier du mois d'Eloul [est] le nouvel an pour la dîme sur le bétail; Rabbi Eleazar et Rabbi Shimon disent [que le nouvel an pour cela est] le premier Tishri. Le premier du mois de Tishri [est] début de l'année pour les années, les années de chemita et les années de Jubilé, pour la plantation et les légumes. Le premier du mois de Shevat [est] le nouvel an pour les arbres, selon les propos de l'école de Shammaï; l'école de Hillel dit que c'est le quinzième de ce mois" roch hachana 1:1

- Le premier début d'année qui nous intéresse est le 1 Nissan qui correspond donc aux changements d'année de règne des rois. On en trouve un exemple dans la Bible : "Ce fut la quatre cent quatre-vingtième année après la sortie des enfants d'Israël du pays d'Égypte que Salomon bâtit la maison à l'Éternel, la quatrième année de son règne sur Israël, au mois de Ziv, qui est le second mois. " 1 Rois 6.1. Nous savons que Ziv était le deuxième mois dans l'ancien calendrier cananéen.

Epstein (toujours lui) nous confirme le système de décompte dont nous avons déjà parlé plus haut : "Si un roi accède au trône le 29 Adar, dès que le 1 Nissan arrive, il est considéré comme ayant régné un an. Ce qui nous apprend que Nissan est la nouvelle année pour les rois, et que un jour dans une année est décompté comme une année. Mais, s'il accède au trône le 1 Nissan, il n'est pas reconnu avoir régné un an tant que le 1 Nissan suivant n'est pas passé." Epstein, BT 2.

Comme la Mishna l'indique très clairement, ce système de décompte n'est, à l'exception des fêtes*, réservé qu'aux rois.

Certains rabbins prétendent même qu'il n'est valable que pour les seuls rois d'Israël. Pour les autres rois (Perses, Égyptiens...) il faudrait «appliquer» le deuxième type d'années qui débute le 1 Tishri qui est "le début de l'année pour les années, les années de chemita [années sabbatiques]...".

Pour justifier l'application d'un tel système, il faudrait se reporterà deux versets du livre de Néhémie :

Neh. 1:1 : Paroles de Néhémie, fils de Hacalia. Au mois de Kislev, la vingtième année, comme j'étais à Suse, dans la capitale

Neh. 2:1 : Au mois de Nisan, la vingtième année du roi Artaxerxès, comme le vin était devant lui, je pris le vin et je l'offris au roi

L'argumentation serait la suivante :

Cet argument ne tient que si on est dans la même année (la vingtième année d'Artaxerxès) pour les versets 1:1 et 2:1. C'est un argument bien mince mais peut-être en existe-t-il d'autres...

B) L'ère séleucide

Parmi les règnes de rois qui firent l'objet de points de repère chronologiques pour les Juifs, l'un d'entre eux mérite une attention particulière. Ne serait-ce que de part sa diffusion et sa longévité parce qu'il devint une ère. C'est l'ère séleucide.

Et même cette ère va nous poser des problèmes parce qu'elle est à «date d'origine variable». Décidément, les Juifs ne faisaient pas souvent dans la simplicité.

En fait, l'ère séleucide, qui débute le 1 Dios (7 octobre) 312 av. J.-C., ne correspond pas avec l'accession au trône de Séleucos Ier Nikator mais avec sa victoire sur Démétrios Poliorcère lors de la bataille de Gaza. Ce ne fut qu'en 305 av. J.-C. que Séleucos devint roi de Babylone.

Son fils Antiochos Ier Sôter, au lieu de recommencer une série d'années de règne, poursuivit la numérotation de son père et les rois suivants firent aussi de même. L'ère séleucide était née.

On peut se poser la question du pourquoi d'un tel changement de numérotation des années. Une explication possible est que Séleucos avait adopté le calendrier babylonien avec son système d'intercalations tous les 19 ans. Techniquement, il était difficile de maintenant ce cycle en réinitialisant le décompte à chaque changement de règne.

L'ère séleucide, qui fut largement utilisée en Asie Mineure et en Orient, ne put l'être que grâce à des adaptations pour faire correspondre le premier jour du premier mois de l'ère avec le premier jour de l'année du pays adoptant l'ère.

Et on vit ainsi naître une certain nombre de variantes selon que le pays utilisant l'ère commençait son année au printemps ou en automne. On peut même y ajouter le système consistant à considérer l'année de l'événement comme année «zéro» (année d'accession") ou année 1.

C'est ainsi que les Juifs de Babylonie et de Chaldée repoussèrent cette date (1 Dios 312 av. J.-C.) au 1 Nissan (3 avril) 311 av. J.-C. et la transportèrent ensuite en Palestine alors qu'en Syrie et en Asie Mineure ils la conservèrent au 1 Tishri (7 octobre) 312.

Nous avons ainsi deux abréviations pour l'ère séleucide : SEB dans le calendrier babylonien et SEM dans le calendrier macédonien.

Ce système de datation fondé sur l'ère séleucide, quelle que soit son origine (SEB ou SEM), fut utilisé très tôt par les Juifs comme nous allons le voir. Et il le fut très longtemps sous différentes appellations : minian yévani («temps des grecs»), malkhut yavan («royauté grecque»), malkhut parass («royauté perse») ou minian shetarot («ère des contrats»). Toutes ces appellations ne nous font pas perdre de vue qu'il s'agit d'un système extérieur aux Juifs, utilisé par les scribes ou les clercs pour dater les contrats et autres opérations mercantiles. Les Juifs de France qui rédigent leurs transactions commerciales dans le calendrier grégorien ne nous apprennent rien sur leur calendrier religieux. De la même manière, l'utilisation de l'ère seleucide et du calendrier correspondant ne peuvent pas être considérées comme un fait juif. Ce n'est simplement qu'une utilisation du calendrier officiel du pays gouvernant. C'est certainement pour cette raison que l'ère séleucide est souvent utilisée en combinaison avec une datation de construction purement juive (destruction du temple ou ère de la création du monde).

Quelle est la période d'utilisation de l'ère seleucide par les Juifs ?

C) l'ère du monde (ou Ère de la création, Anno Mundi = AM)

Bien qu'au travers de textes comme Seder Olam Rabbah ou le Talmud (qui compilèrent les durées de vie et l'âge des personnages de la Bible ainsi que celles des différentes périodes historiques) tous les ingrédients nécessaires à la création d'une ère de la création étaient réunis, cette ère en tant que telle n'apparut que tardivement (Ve siècle) et se répandit plus tard encore (époque de Maïmonide au XIIe siècle).

Pour déterminer le point de départ d'une ère, il faut le dater à partir d'un autre événement dont la date est parfaitement connue dans un autre calendrier. Ce fut la date de destruction du second temple qui servit de repère. Pour notre part, nous allons nous référer au calendrier julien (sans année zéro) pour «dater» le début de l'ère de la création.

Les choses ne sont pas simples puisque, selon les textes dont on veut 'traduire" les dates et selon l'époque où il ont été écrits les mêmes événements n'auront pas la même date dans l'ère de la création du monde. C'est ainsi que l'année de destruction du second temple sera, selon les textes, 3828, 3829 ou 3830 dans l'ère de la création.

Et comme les choses ne sont justement pas simples, nous allons avancer pas à pas. Désolé pour les spécialistes de la chronologie mais ils étaient prévenus : cette page n'est pas pour eux :-))

Avant de commencer souvenons-nous de quelques petites choses :

  1. Les Hébreux et les Juifs divisent l'heure en 1080 halakims (fraction d'heure) ce qui fait que 1 halakim = 3 1/3 secondes.
  2. Dans le système juif, le jour commence à 18 h. Ainsi,«notre» dimanche 18 h correspond, dans ce système, à lundi 0 h.
  3. A chaque lettre de l'alphabet hébreu correspond une valeur numérique (voir sur Wikipédia la correspondance)
  4. Dans le système de décompte du temps juif on appelle molad l'heure de la conjonction Lune-Soleil c'est-à-dire l'heure de la nouvelle Lune.

Ceci étant dit, commençons par évoquer un mystère. Si on compare les différents textes (Genèse, textes massorétiques, Seder Olam...) on ne peut que constater que les calculs des durées sont loin de concorder et 200 différents calculs auraient donné un début d'année de la création du monde (selon la Bible) entre 6 984 av. J.-C et 3 483 av. J.-C. dans le calendrier julien. Alors, pourquoi, en fin de compte, c'est l'année 3 761 qui fut retenue comme année de la création (je ne dis pas année 1 des décomptes chronologiques), c'est le mystère.

Mais bon, va pour 3 761 av. J.-C. Il nous reste à déterminer quel sera l'événement à l'origine du décompte et quel sera le premier mois de départ de ce décompte.

En ce qui concerne le mois, si nous retournons un peu plus haut à la définition des 4 années possibles, nous constations que nous avons le choix entre Nissan et Tishri. Malgré quelques partants pour Nissan, c'est le Talmud qui indique que c'est au mois de Tishri qu'il convient de changer d'année. La question est réglée.

Il ne nous reste plus qu'à nous demander à partir de quand on va donner le «top chrono» au décompte qui va nous permettre de dire que le déluge c'était en xxxx, la destruction du premier temple c'était en xxx et que le premier tour de l'élection présidentielle 2007 en France, ce sera en 5767 AM.

Et cette question que nous nous posons va nous faire envisager trois décomptes possibles qui furent tous, à des époques différentes, utilisés et font appel à des notions d'utilisation ou pas d'année zéro d'une part et de création de l'homme d'autre part.

C-1) Premier décompte (AM1 dans le tableau récapitulatif)

C'est celui qui est utilisé actuellement. Il part du principe, comme les autres et conformément aux textes, qu'Adam et Eve furent créés un 1 Tishri.

Si on se réfère au récit de la Genèse l'homme fut crée le sixième jour. Il y a donc une différence de 5 jours dont il faut bien tenir compte. Dans ce décompte AM1 ces cinq jours appartiennent à la première année de la création. C'est elle qui sera l'année 1 du décompte.

Bien entendu, cette année 1 du décompte AM1 débute le 1 Tishri. Mais nous avons un petit problème : comment calculer le molad d'une année au cours de laquelle la Lune n'a pas encore été créée (elle ne fut créée que le 4ejour) ? Tout simplement en considérant qu'une grande partie de cette année est purement virtuelle. Ce n'est que le 25 Ellul que nous sortirons de ce «monde virtuel» pour entrer vraiment dans le monde réel : "Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre". Genèse 1.1.

C'est cette notion de «monde virtuel» qui fait que le molad de l'année qui y correspond porte un nom spécial qui est Molad Tohu qu'on peut traduire par «lunaison du chaos» et qui est décrit ainsi dans la Genèse : "La terre était informe et vide" Genèse 1.2

Ce Molad Tohu porte un autre nom à vocation mnémonique en s'appuyant sur la correspondance lettre de l'alphabet/ nombre : Molad BéHaR"D. Convertissons les lettres en chiffres, B = 2, H = 5, R = 200, D = 4, le reste est du remplissage. Il ne nous reste plus qu'à savoir que le premier chiffre est un numéro de jour (1 = dimanche, 2 = lundi...), le second un numéro d'heure, et le reste des fractions d'heure (halakims) pour comprendre que Molad Tohu correspond au lundi (B=2), cinquième heure (H=5), 204 fractions d'heure (R = 200 + D = 4) soit 11 minutes et 20 secondes.

Le molad de l'année virtuelle de la création du monde, c'était donc le lundi 1 Tishri 5 h 11 m 20 s heure de Jérusalem dans le système juif. Ce qui donne (compte tenu du fait que le lundi 0 h, c'est le dimanche 18 h du calendrier julien ou grégorien) dimanche 6 octobre 3761 av. J.-C. 23 h 11 m 20 s.

Il faut bien comprendre que, dans ce premier décompte, cette année 1 ne compte que 5 jours et 14 heures qui appartiennent à l'ère de la création. Cette ère est la seule qui porte vraiment son nom puisque le rang de la première année trouve son origine dans les premiers instants de la naissance de l'univers.

C-2) Deuxième décompte (AA1 dans le tableau récapitulatif) et troisième décompte (AA2 dans le tableau récapitulatif)

Ces décomptes partent de la création d'Adam. C'est la raison pour laquelle on parle quelquefois d'Anno Adami (AA). Ce sont ces décomptes qui sont utilisés dans les textes anciens.

La seule différence entre eux est qu'on peut considérer que l'un (AA1) n'utilise pas d'année «zéro» et décompte directement à partir de la création d'Adam (selon les indications talmudiques) alors que l'autre (AA2) ne décompte qu'à partir de l'année où Adam a un an (selon le Séder olam).

Du point de vue mnémonique :

Pour terminer cette partie, voyons un tableau récapitulatif

Événement / Type ère AM1 AA1 AA2
Terre du "chaos" (genèse 1.2) 1 AM
Création d'Adam 2 AM 1 AM
1er anniversaire d'Adam 3 AM 2 AM 1 AM
Début ère séleucide 3 450 AM 3 449 AM 3 448 AM
Début ère chrétienne (1 av. J-C. / 1 ap. J.-C.) 3 761 AM 3 760 AM 3 759 AM
Destruction du second temple 3 830 AM 3 829 AM 3 828 AM

Années sabbatiques et jubilés

Comme la semaine, le cycle des années sabbatiques et le cycle du jubilé va s'articuler autour du chiffre 7.

Comme la semaine compte sept jours avec un septième jour particulier (le sabbat), le cycle sabbatique va compter sept années avec une année particulière (l'année sabbatique ou shemitta ou shevi'it). On peut ainsi parler de «semaine d'années» à propos du cycle sabbatique.

Quant au cycle du jubilé, il va compter pas moins de 7 semaines d'années.

A) Le cycle sabbatique

Comme nous l'avons vu plus haut dans le traité roch hachana, les années de ce cycle commencent avec le mois Tishri.

Dans ce cycle, shemitta, dernière année de la série possède une double particularité dont le principe, comme l'écrit très justement S.A. Goldberg (la clepsydre, p. 311), consiste à associer la temporalité des gens et celle de la terre. Lisons quelques passages de la Bible à ce sujet.

Le repos de la terre :

Exode 23, 10-11 : Six années durant tu ensemenceras ta terre et tu récolteras son produit, mais à la septième tu lui donneras relâche et la laisseras en jachère : les indigents de ton peuple et les animaux des champs mangeront leurs restes. Ainsi feras-tu pour ta vigne, pour ton olivier

Bien que ce ne soit pas notre propos, notons au passage que cette année sans semer repousse une nouvelle récolte à la neuvième année. Il faut avoir une bonne dose de confiance en Dieu pour respecter cette règle. Il répond d'ailleurs lui-même à l'objection :

Lévitique 25, 20-22 : Si vous dites : « Que mangerons-nous la septième année, si nous n'ensemençons pas et ne récoltons pas nos produits ? » je vous manderai ma bénédiction la sixième année, en sorte que celle-ci produira pour trois ans. Quand vous sèmerez, la huitième année, vous mangerez encore de l'ancienne récolte ; jusqu'à la neuvième année, jusqu'à ce que vienne sa récolte, vous mangerez de l'ancienne.

Le rémission des dettes et la libération des esclaves :

Deutéronome 15, 1-2 : Au bout de sept ans, tu feras rémission. Et voici la teneur de la rémission : tout possesseur d'une créance fera rémission de ce qu'il a prêté à son prochain, il ne pressera pas son prochain ni son frère, lorsqu'on aura proclamé la rémission du SEIGNEUR. [...]

Deutéronome 15, 12-15 : Si ton frère hébreu, homme ou femme, se vend à toi, il te servira six ans, et la septième année, tu le renverras libre de chez toi. Et lorsque tu le renverras libre de chez toi, tu ne le renverras pas les mains vides, mais tu devras le charger de présents pris dans ton petit bétail, ton aire et ta cuve ; selon que t'aura béni le SEIGNEUR ton Dieu tu lui donneras. Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d'Égypte et que le SEIGNEUR ton Dieu t'a libéré ; voilà pourquoi je te commande aujourd'hui cette chose.

Ce cycle ininterrompu de 7 ans peut être un outil de datation à condition de connaître le numéro de cycle et l'année de début du premier cycle. C'est ainsi qu'on trouve sur une stèle funéraire de la région de Zoar le texte suivant : "Ici [repose] l'âme d'Esther, fille de Edyo, morte au mois de Shevat dans l'année 3 de la jachère, l'année 300 des années après la destruction de la maison du Temple. Paix. Paix"

Quand débuta le premier cycle sabbatique et combien de temps cette pratique dura-t-elle ?

En ce qui concerne la durée d'observance, on peut dire jusqu'au Ve siècle ap. J.-C. sans qu'on puisse affirmer que ce fut sans discontinuer.

Quant au premier cycle, les avis ne concordent pas forcement. On peut tout de même raisonnablement penser que ce pouvait pas être avant que les Hébreux n'arrivent en Palestine et prennent possession de la terre qui leur fut donnée par Dieu.

L'encyclopédie juive fait mention d'une première shemitta 21 ans après l'arrivée des Hébreux en Palestine. Les calculs talmudiques en arrivent à une première année sabbatique en 1 240 av. J-C. (2 510 de l'année de la création). Quant à James Ussher (1581 – 1656) archevêque anglican d’Armagh, il donne une première année sabbatique en 1445 av. J.-C. (2 560 de l'année de la création).

Bref, il n'est pas trop risqué de penser que personne ne sait quand eu lieu la première année sabbatique. D'autant plus que les tentatives de la savoir se réfèrent à la Bible et qu'il y a un fossé entre le récit biblique et l'histoire.

En revanche, à partir d'une période aux environs de la destruction du second temple, les informations sont plus précises. Ce qui permet, en 1856, à Benedict Zuckermann (Ueber Sabbatjahrcyclus und Jobelperiode) de publier une table des années sabbatiques de 535/534 av. J.-C. (année sabbatique selon lui) à.... 2238/2239 ap. J.-C. Cette table est actuellement la mieux acceptée.

En 1973, Ben Zion Wacholder publie (The Calendar of Sabbatical Cycles during the Second Temple and the Early Rabbinic Period), lui, une table couvrant la période de 519/518 av. J.-C. à 440/441 ap. J.-C. en s'appuyant sur de nouvelles découvertes archéologiques.

Les deux tables ne diffèrent en fait que d'un an : Wacholder place les années sabbatiques un an plus tard par rapport à Zuckermann.

Et c'est en 1979 que Donald Wilford Blosser donne raison à Zuckermann en publiant (Jesus and the jubilee Luke 4:16-30 : The year of jubilee and its significance in the Gospel of Luke) sa propre table pour la période 171/170 av. J.-C. - 75/76 ap. J.-C.

B) Le cycle jubilaire

Le rythme jubilaire est intimement lié au rythme sabbatique puisque l'année jubilaire représente l'aboutissement des sept sabbats d'années.

Toutes les prescriptions de l'année sabbatique se trouvent valables pour le jubilé qu'on peut considérer comme une «super année sabbatique»de niveau supérieur et plus intense.

Mais, en plus, lors de l'année jubilaire, les terres vendues devaient revenir cette année-là à leur premier propriétaire, si bien que personne ne pouvait être dépouillé de son héritage familial.

Comment se déroule ce rythme jubilaire ? Lisons le texte qui nous l'explique :

Lévitique 25
...
25.8 Tu compteras sept sabbats d'années, sept fois sept années, et les jours de ces sept sabbats d'années feront quarante-neuf ans.
25.9 Le dixième jour du septième mois, tu feras retentir les sons éclatants de la trompette; le jour des expiations, vous sonnerez de la trompette dans tout votre pays.
25.10 Et vous sanctifierez la cinquantième année, vous publierez la liberté dans le pays pour tous ses habitants: ce sera pour vous le jubilé; chacun de vous retournera dans sa propriété, et chacun de vous retournera dans sa famille.
25.11 La cinquantième année sera pour vous le jubilé : vous ne sèmerez point, vous ne moissonnerez point ce que les champs produiront d'eux-mêmes, et vous ne vendangerez point la vigne non taillée.
25.12 Car c'est le jubilé: vous le regarderez comme une chose sainte. Vous mangerez le produit de vos champs.
25.13 Dans cette année de jubilé, chacun de vous retournera dans sa propriété.
...
25.20 Si vous dites: Que mangerons-nous la septième année, puisque nous ne sèmerons point et ne ferons point nos récoltes?
25.21 je vous accorderai ma bénédiction la sixième année, et elle donnera des produits pour trois ans.
25.22 Vous sèmerez la huitième année, et vous mangerez de l'ancienne récolte; jusqu'à la neuvième année, jusqu'à la nouvelle récolte, vous mangerez de l'ancienne.
25.23 Les terres ne se vendront point à perpétuité; car le pays est à moi, car vous êtes chez moi comme étrangers et comme habitants.
...

Les choses seraient simples si on savait précisément comment positionner l'année jubilaire dans les cycles sabbatiques. Malheureusement le texte n'est pas très clair et trois interprétations sont nées et semblent avoir été appliquées :

Dans les tableaux qui suivent les années sabbatiques sont marquées par un S et les années jubilaires par un J

- la première voudrait que l'année jubilaire soit la même que la septième année sabbatique du septième cycle sabbatique.

1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7
S S S S S S S
J
Nouveau
cycle
7 ans 7 ans 7 ans 7 ans 7 ans 7 ans 7 ans
7 sabbats d'années = 49 ans

Cette interprétation ne semble pas être en accord avec le texte qui nous parle d'année jubilaire lors de la cinquantième année.

- la seconde fait de l'année qui suit sept sabbats d'années l'année jubilaire en même temps que la première d'un nouveaux cycle de sept sabbats d'années.

1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7
S S S S S S S J
7 ans 7 ans 7 ans 7 ans 7 ans 7 ans 7 ans Nouveau
cycle
7 sabbats d'années = 49 ans 50eannée
50 ans

On remarque que cette option, comme la suivante, font que se suivent deux années de jachère tous les 49 ans. C'est ce doublon qui, selon certains exégètes, s'expliquerait par le fait que Dieu, dans la sixième année, accorde des produits pour trois ans.

- La dernière interprétation intercale l'année jubilaire entre deux sabbats d'années.

1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7 ... 7/7 1/7
S S S S S S S J Nouveau
cycle
7 ans 7 ans 7 ans 7 ans 7 ans 7 ans 7 ans 50e
année
51e
année
7 sabbats d'années = 49 ans

Selon S. A. Goldberg, Abraham bar Hiyya Ha-Nasi (1070–1136?) mathématicien juif espagnol ces trois interprétations auraient été utilisées au cours des temps :

Notons quand même que d'autres découpages existent. Lequel est le bon ? Qui peut le dire ?

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