Le calendrier égyptien

Un peu d'histoire

Ne comptez pas sur moi pour vous raconter plus de 5000 ans d'histoire sur cette page !

Pour nous permettre de nous situer dans l'espace, voici une carte de l'Égypte ancienne :

Et, pour nous permettre de nous situer dans le temps, vous trouverez sur une page séparée une chronologie de l'Égypte. Comme elle est un peu longue, j'ai préféré l'isoler de ce qui traite du calendrier. N'oublions quand même pas que, même si cette chronologie (qui est celle des rois et pharaons) remonte vers 5000 av J.-C, la civilisation égyptienne existe depuis plus de dix millénaires.

Quelques observations : Avant d'aborder l'étude des calendriers égyptiens, projetons nous en arrière de 5 000 ans en Égypte.

- Nous constatons que la présence de brumes est quasi permanente à proximité de l'horizon. Du coup, les observations astronomiques ne sont pas très faciles et sont loin d'atteindre le niveau de celles des peuples mésopotamiens. Les étoiles de troisième et deuxième grandeur sont presque invisibles à leur lever.

En revanche, une étoile dépasse toutes les autres par sa brillance : Sirius (ou Sothis si l'on utilise la forme helléniste du mot égyptien Sopt). Il s'agissait alors d'une étoile double représentée sous la forme d'une petite chienne (canicula en latin) appartenant à la constellation du Grand Chien (canis en latin). Elle se couchait de plus en plus tard au printemps (notre printemps) puis disparaissait. Quelque 70 jours plus tard, elle réapparaissait un matin juste avant le lever du Soleil. Cette réapparition est appelée lever héliaque. À l'époque prédynastique, elle coïncidait avec la période la plus chaude de l'année. D'où le mot canicule que nous connaissons (dérivé de canicula) pour définir une grande chaleur.

- Les Égyptiens sont un peuple à vocation agricole et ils n'ont pas manqué de constater un événement qui revient régulièrement dans leur vie : la crue du Nil. Elle est liée à la saison des pluies dans le haut bassin de ce fleuve : le lac Victoria au sud du Soudan. Cette crue atteint la région du Caire vers le 20-25 juin soit presque au solstice d'été pour l'hémisphère Nord. Les inondations dues à la crue duraient environ 4 mois.

Il s'avère qu'à certains moments (nous verrons lesquels), ces trois phénomènes lever héliaque de Sirus - crue du Nil - Solstice d'été coïncidaient et nous allons voir comment cette triple coïncidence allait influencer le calendrier solaire égyptien.

Le(s) calendrier(s)

Deux hypothèses existent quant aux différents calendriers que put connaître l'Égypte ancienne :

Nous allons, afin de faire notre propre choix, examiner ces deux hypothèses.

1) Hypothèse «linéaire» : les calendriers se succèdent

Comme beaucoup de peuples primitifs, les Égyptiens utilisèrent d'abord un calendrier lunaire. La première forme «d'année» au sens de cycle aurait donc été le mois lunaire. Comme la période synodique vaut 29,5 jours, les Égyptiens firent des mois de 29 et 30 jours. Deux lunaisons consécutives furent associées pour constituer «l'année».

Ce calendrier lunaire fut très vite abandonné comme comput (il servit encore pour marquer certaines fêtes religieuses) aux environ du V ème millénaire au profit d'un calendrier basé sur le retour des saisons (et de la crue du Nil) qui convenait mieux à un peuple d'agriculteurs.

Les Égyptiens adoptèrent alors le calendrier «mésopotamien» de 12 mois de 30 jours formant une année de 360 jours.

Ces douze mois furent regroupés en 3 saisons de 4 mois chacune (les tétramènes) correspondant à trois périodes agricoles liées à la vie aux bords du Nil : crue, semailles, récolte. Ces saisons étaient nommées.

En revanche, ni les jours ni les mois n'étaient nommés. Les mois portaient leur numéro dans la saison (1-2-3-4) et les jours leur numéro dans le mois (de 1 à 30).

Les mois furent nommés plus tard et portèrent des noms dérivés de noms de dieux. On peut retrouver ces noms au moins depuis le Nouvel Empire. Avant, c'est plus hasardeux. Attention donc aux anachronismes possibles. Cependant, pour des raisons de commodité de lecture, nous allons dès maintenant les utiliser.

Rapidement, les prêtres observèrent que le début des inondations dues à la crue du Nil correspondait avec le lever héliaque de Sothis (Sirius). Ils fixèrent le début de l'année au premier jour du premier mois (Thot) de la saison Akhet.

Si l'on tient compte des explications qui précèdent, nous pouvons constituer ce premier calendrier solaire, sans oublier que, à cette époque, les mois ne sont pas encore nommés.

Saison Mois Nom Représentation
Akhet (inondations)
1 Thot
2 Phaophi
3 Athyr
4 Khoiak
Péret (germinations)
1 Tybi
2 Mekhir
3 Phamenoth
4 Pharmouthi
Chémou* (moissons)
1 Pakhon
2 Payni
3 Epiph
4 Mesorê

* : Chémou s'écrit aussi Shomu. Certains y voient la racine du mot anglais Summer (été).

Souvent, les mois étaient simplement nommés I Akhet, II Akhet, III Akhet... sans nom précis.

Pour l'année, le mois et le jour, nous avons les représentations suivantes :

Année Mois Jour
Nom Renep Abed Herou
Représentation

De plus, cette année fut découpée en 36 décans de 10 jours. Pour chaque mois, nous avons donc le premier décan , la deuxième décade et la troisième décade . Ces décans, dont nous reparlons plus longuement dans l'étude consacrée aux divisions du jour, vont faire le bonheur des astrologues.

Mais, comme nous le savons, une année tropique ne compte pas 360 jours, mais 365 jours 1/4.

Par conséquent, le premier jour de l'année ne coïncidait qu'exceptionnellement avec le lever héliaque de Sothis. De cette constatation les prêtres déduisirent que l'année était de 365 jours.

Ils rajoutèrent donc cinq jours à l'année telle qu'elle était déjà constituée. Ces jours additionnels furent nommés épagomènes par les Grecs, ce qui signifie ceux qui sont au-dessus (dona heriou roupet) et indique qu'il s'agissait d'un groupe de jours séparés comptabilisés en dehors des mois de l'année. Ils avaient pour nom Osiris, Horus, Seth, Isis et Nephthys conformément à la légende suivante (rapportée par Plutarque) :

Nout, la déesse du ciel, et Geb, le dieu de la terre, s'étaient mariés sans le dire à Râ, qui ne leur aurait pas permis. Il se fâcha en effet dès qu'il fut averti de leur union. Il jeta sur Nout un charme puissant destiné à l'empêcher à jamais d'avoir des enfants. Il voulait ainsi la punir d'avoir épousé Geb sans sa permission. Nout fut désolée. À quoi bon se marier si l'on ne peut pas avoir d'enfants?

Le dieu Thot eut pitié d'elle et de son chagrin. Il joua avec la Lune une partie de dames, et il gagna la partie. Il recommença et gagna encore. Après quelques parties, comme il gagnait toujours, il demanda à la Lune de lui donner une partie de ses feux et de sa lumière afin de fabriquer cinq jours entiers.

Ces cinq jours n'appartenaient à aucun mois, ils étaient en dehors de l'année et du calendrier de sorte que Nout put au cours de ces jours-là mettre au monde cinq enfants, échappant ainsi à l'interdiction de Râ : Osiris, Horus, Seth, Isis et Nephthys

Dans le calendrier grégorien, ces cinq jours correspondent aux 14, 15, 16, 17 et 18 juillet.

Ce calendrier de 365 jours, né en 4236 (date souvent avancée) avant notre ère allait durer pas moins de 4 000 ans et être à l'origine du calendrier julien et, plus tard, inspirer grandement la création du calendrier républicain français.

Bien que piètres astronomes, ce furent donc les Égyptiens qui léguèrent aux civilisations suivantes le calendrier qui allait toutes les inspirer.

Le "calendrier d'Elephantine" conservé au Louvre et découvert au siècle dernier par l'égyptologue français Auguste Mariette. L'inscription encadrée mentionne une date de réapparition de Sothis (Sirius) : 3e mois de la saison des moissons, 28e jour.
Le "calendrier d'Elephantine" conservé au Louvre et découvert au siècle dernier par l'égyptologue français Auguste Mariette. L'inscription encadrée mentionne une date de réapparition de Sothis (Sirius) : 3emois de la saison des moissons, 28ejour. © 2014 Musée du Louvre / Christian Décamps

Cette année égyptienne de 365 jours est aussi connue sous le nom de année vague.

Pourquoi vague ?

Tout simplement parce que 365 jours ne font toujours pas 365 jours 1/4 et que ce retard de 1/4 de jour par an produit un décalage d'un jour tous les quatre ans et d'un an en 365 X 4 = 1460 années juliennes ou 1461 années égyptiennes. Le lever héliaque de Sirius, au lieu de se maintenir le 1er Thot se fit le 2 au bout de quatre ans, le 3 au bout de huit ans, etc. et les fêtes attachées au calendrier dérivèrent. Au bout de 730 ans la canicule et les récoltes furent fêtées... en plein hiver. D'où ce surnom de calendrier vague.

Au lieu d'ajouter un sixième jour épagomène tous les quatre ans (comme le fera César sous les conseils de l'astronome alexandrin Sosigène), les prêtres maintinrent ce calendrier de 365 jours et expliquèrent qu'il était bon de sanctifier successivement chacun des jours de l'année.

Et comme tout rentrait dans l'ordre tous les 1461 ans, ce retour à la normale faisait l'objet de fêtes particulièrement solennelles.

Ce cycle de 1461 ans est connu sous le nom de période sothiaque. L'écrivain latin Censorin rapporte les célébrations de 139 apr. J.-C. Les autres coïncidences lever héliaque -  1erjour de l'année auraient eu lieu en 1318, 2776 et 4236 av. J.-C. (ou -1317, -2775, -4235). De récents travaux, à la suite de ceux de l'astronome Jacques Laskar, tendent à dire - 4227 au lieu de -4235. Que ce soit -4227 ou -4235, le premier Thot du début du calendrier vague se situerait au milieu du mois de juillet (calendrier julien).

On peut constater qu'une seule durée de la période sothiaque est bien de 1460 ans juliens. En effet, au fil du temps, l'année sothiaque a augmenté lentement et le retour au premier jour de l'année s'est produit plus vite : 1458 ans pour la deuxième période et 1456 ans pour la troisième période (chiffres résultant du calcul astronomique).

Il ne faut pas croire qu'aucune tentative de correction de la dérive du calendrier vague n'a été faite. Le roi Ptolémée III Evergète (246-222 av. J.-C.) a essayé d'instaurer un 6ejour épagomène tous les 4 ans en l'an 238 av. J.-C. et proclama le décret de Canope :

"Pour que les saisons se succèdent d'après une règle absolue et conformément à l'ordre du monde, et pour qu'il n'arrive pas que des panégyries célébrées en hiver tombent en été par suite du changement d'un jour tous les quatre ans dans le lever de l'astre (Sothis), ni que d'autres panégyries célébrées en été tombent plus tard en hiver comme cela s'est déjà vu et comme cela vient d'arriver, désormais l'année demeurant composée de 360 jours, plus les cinq jours additionnels, un jour, consacré à la fête des dieux Evergètes, sera intercalé tous les quatre ans entre les cinq jours épagomènes et le Nouvel An"

Mais le peuple égyptien refusa d'utiliser ce jour additionnel et le calendrier vague... resta vague.

Stèle du décret de Canope, découvert au Caire, remployé alors comme seuil d'une porte de mosquée
Stèle du décret de Canope, découvert au Caire, remployé alors comme seuil d'une porte de mosquée © 2003 Musée du Louvre / Christian Décamps

Moins connu que la pierre de Rosette, le décret de Canope présente aussi la particularité d'être rédigé en deux langues et trois écritures (hiéroglyphes, démotique et grec). Cette stèle de 1,94 m de haut et 45 cm de large est conservée au Louvre.

Le décret a été promulgué par un synode de prêtres égyptiens rassemblés à Canope (proche de l'actuelle Aboukir) dans la 9eannée du règne de Ptolémée III (22 octobre 239 av. J.-C. - 21 octobre 238 av. J.-C.)

Les prêtres décrétèrent qu'une fête en l'honneur de Ptolémée III et de son épouse et sœur Bérénice devait être célébrée le 1 Payni de chaque année. Les lignes 44-46 du texte grec (voir plus haut la traduction) expliquent comment ajouter un sixième jour épagomène tous les 4 ans à l'année égyptienne pour éviter que cette date ne dérive dans le calendrier vague égyptien.

On sait l'avenir qu'aura, dans le calendrier julien, ce jour ajouté tous les 4 ans.

2) Hypothèse «parallèle» : les calendriers coexistent

Selon l'égyptologue Richard A. Parker, deux calendriers auraient coexisté :

- Le calendrier vague de 365 jours tel que nous venons de le voir et qu'il baptise calendrier civil. Il aurait été destiné aux seuls besoins administratifs et aurait été introduit au IIIe millénaire (entre 2937 et 2821) avant notre ère.

- Un calendrier lunaire, bien antérieur, dont l'existence se serait poursuivie même durant la présence du calendrier civil. Sa vocation aurait été religieuse. Peut-on envisager qu'elle fut aussi agricole ou devons-nous envisager l'existence d'un troisième calendrier agricole ? Mystère.

Mystérieux aussi ce texte trouvé sur une tombe à Abydos et qui salue Sothis (Sirius) comme "héraut de la nouvelle année et de l'inondation". Comment devons-nous l'interpréter ? Comme une preuve de l'existence d'un calendrier qui durerait l'un lever héliaque de Sirius au suivant ?

R.A. Parker y voit une explication dans l'existence du calendrier lunaire dont le début de l'année serait calé sur la nouvelle lune qui suivrait immédiatement le lever héliaque de Sirius.

L'existence d'un tel calendrier lunaire qui fonctionnerait en même temps que le calendrier solaire civil soulève quelques questions auxquelles il est bien difficile de répondre : comment les deux calendriers étaient-ils synchronisés ? Quelle fut son évolution dans le temps ?

On peut supposer que la «synchronisation» des deux calendriers s'opérait de manière classique par ajout d'un mois intercalaire. Les règles d'intercalation auraient été les suivantes :

Chaque fois que le lever héliaque de Sirius tombe les derniers 11 jours du douzième mois de l'année, un mois supplémentaire était ajouté à l'année suivante. Ce treizième mois était appelé Djehuty.

Chaque fois que le premier jour du calendrier lunaire tombait avant le premier jour du calendrier civil, le mois supplémentaire était ajouté.

Contrairement aux mois du calendrier civil qui furent nommés tardivement, les mois du calendrier lunaire portaient le nom de dieux et déesses égyptiens. La liste figure dans le tableau ci-dessous. La dernière colonne rappelle les noms des mois «grécisés».

-
Lunaire : origine Lunaire : basse époque Fête de Égyptien civil Égyptien grec
Djehuty (intercalaire) - - -
Tekhy Djehuty Thot I Akhet Thot
Menhet pA-n-IpAt Opet II Akhet Phaophi
Hwt-hwr Hwt-hwr Hathor III Akhet Athyr
Ka-hr-ka Ka-hr-ka Ka IV Akhet Khoiak
Sf-Bdt tA-aAbt l'Offrande I Péret Tybi
Rekh wer (pA-n) mhr Mékhyr II Péret Mekhir
Rekh neds pA-n-Imn Htpw Aménophis III Péret Phamenoth
Renwett (pA-N) Rnnwtt Rénénounet IV Péret Pharmouthi
Hnsw (pA-n) xnsw Khonsou I Chémou Pakhon
Hnt-htj pA-n-Int la vallée II Chémou Payni
Ipt Hmt Ipip Ipet III Chémou Epiph
Wep-renpet mswt-Ra la naissance de Ré IV Chémou Mesorê

3) Chronologie

Un gros défaut du calendrier égyptien était de ne pas avoir d'origine unique et fixe. Il n'y a donc pas eu d'ère égyptienne. Le comput des années démarrait à l'avènement de chaque nouveau Pharaon. Les Égyptiens s'arrangeaient pour faire coïncider cette «apparition» avec le premier jour de l'année.

La datation se faisait donc de la façon suivante :

Année (du pharaon régnant) + numéro de mois dans la saison + numéro de jour dans le mois

Exemple : An 9, 2emois d'Akhet, le 20, sous la majesté de l'Horus Ankhmésout

4) Le jour égyptien

La journée commençait au coucher du soleil. À moins que ce ne soit à son lever. Le débat reste ouvert.

La nuit (obscurité) appelée gereh et le jour (clarté) appelé heriou étaient tous deux divisés en 12 périodes de temps égales dans la même journée, mais dont la longueur variait au fil des jours et des saisons.

Aucun calendrier n'a été utilisé aussi longtemps que le calendrier vague égyptien, et il inspira bon nombre d'autres calendriers comme nous le verrons (Julien, républicain, Copte, Ethiopien...).

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