Le calendrier grégorien

Cette page est la dernière d'une série de trois volets qui nous mènent des calendriers romains primitifs au calendrier Grégorien actuel en passant par le calendrier Julien.

Un peu d'histoire

Note : Il existe beaucoup de livres et pas moins de sites Internet expliquant l'histoire romaine de ses débuts à sa disparition.

Aussi, notre « brin d'histoire » ressemblera plus à une Chronologie qu'à des explications détaillées. Son but essentiel sera de nous positionner dans le temps pour suivre l'évolution de nos calendriers.

La chronologie de chaque page correspond aux calendriers expliqués dans la page. Elle se poursuit donc sur les trois volets évoqués en préambule.

J'ai terminé le volet précédent consacré au calendrier julien par cette phrase :

"Il ne restait donc plus qu'un problème à régler pour que le calendrier julien devienne le calendrier utilisé de nos jours : adapter dans la durée la longueur de l'année à l'année tropique."

En effet, l'année julienne comptait 365,25 jours alors que l'année tropique vaut 365,24221935 jours ce qui donne une différence de 11 minutes et 12 secondes par an. À l'époque du concile de Nicée, cette différence était déjà de près de trois jours.

Le pape Grégoire XIII (1502-1585) dont le pontificat dura de 1572 à 1585. Estampe de Cherubino ALBERTI, 1585.
Le pape Grégoire XIII (1502-1585) dont le pontificat dura de 1572 à 1585. Estampe de Cherubino ALBERTI, 1585. Source gallica.bnf.fr / BnF

C'est le pape Grégoire XIII qui va réduire cette différence grandissante en 1582.

En fait, la durée de l'année calendaire par rapport à l'année tropique intéressait moins Grégoire XIII que la dérive de la date de Pâques qui allait finir par se retrouver en été.

Je me demande encore qui aurait pris le problème en main si Constantin avait fixé Pâques à date fixe ou n'avait pas pris la décision malheureuse de mélanger Église et État.

Mais, avant d'examiner le contenu de la réforme grégorienne, faisons un peu d'histoire pour voir ce qui nous a amenés au fameux 24 février 1582, date de promulgation de la bulle Inter gravissimas.

Une petite parenthèse pour vous signaler un site remarquable dont l'auteur Rodolphe Audette a fait un énorme travail de compilation et de traduction de textes concernant la réforme. Chapeau pour ce travail et pour le style plein d'humour.

Cet hommage mérité rendu, revenons à notre brave Grégoire.

Le concile de Nicée par Nebbia Cesare. Bibliothèque vaticane.
Le concile de Nicée par Nebbia Cesare. Bibliothèque vaticane. Cesare Nebbia / Public domain, via Wikimedia Commons

Après le Concile de Nicée qui n'aurait donc pas fixé de règle pour calculer la date de Pâques (rappelons que c'est le premier dimanche après la première lune de l'équinoxe de printemps), l'Église établit des équations compliquées pour la calculer. Deux astronomes, tous deux évêques à Alexandrie, Théophile et son neveu Cyrille établirent des tables qui s'étendaient respectivement de 380 à 480 et de 437 à 581.

Un autre problème se rajoute au calcul de la date de Pâques : contrairement aux injonctions du Concile de Nicée, chaque ville fit à sa façon et on en arriva à une confrontation Alexandrie (Orient) / Rome (Occident) qui annonce la future rupture définitive entre les églises d'Orient et d'Occident.

En 525, le pape Jean Ier demande à l'abbé Dionysius Exiguus (Denis le Petit) de calculer la date de Pâques pour l'année suivante. Denis le Petit s'attelle à la tâche, adopte les formules alexandrines et utilise le cycle lunaire de 19 ans. Il recalcule les tables de Cyrille sur 95 ans (de 532 à 627).

Dionysius sera connu pour une autre « invention » : l'Annus Domini (A.D.). Le début du calendrier en vigueur à l'époque débutait à l'accession de l'Empereur Dioclétien au trône. Comme l'amour de Dionysius pour Dioclétien n'était pas évident (Dioclétien avait pourchassé les chrétiens) il suggéra de compter les années en partant de l'incarnation du Christ en AD 1 (le zéro n'existait pas encore à Rome). C'est ainsi qu'il mentionne sur ses tables « anni domini nostri Jesus Christi ».

Cette innovation n'obtint pas tout de suite le succès escompté et ne fut adoptée que des siècles (variables selon les pays) plus tard. Quant aux tables, elles tombèrent dans l'oubli et la date de Pâques continua à dériver.

Au XIIIe siècle, les choses se remettent à bouger. En 1200, Conrad de Strasbourg affirme que le solstice d'hiver a perdu 10 jours depuis le règne de Jules César.

Un peu plus tard l'anglais Robert Grosseteste, chanoine à Paris calcule un décalage d'un jour tous les 304 ans (en réalité, c'était un jour tous les 308,5 ans). Il suggère de calculer Pâques avec un équinoxe de printemps au 14 mars au lieu du 21 ce qui compenserait ainsi le retard accumulé.

Un autre anglais, Johannes de Sacrobosco appelé Jean de Holywood ou Jean de Halifax propose dans un traité De Anni Ratione qui abolirait un jour tous les 288 ans. Proposition sans suite.

Au milieu du XIIIe siècle, Roger Bacon marche dans les traces de Grosseteste et réclame une réforme avec véhémence directement au pape Clément IV. Ce dernier décède sans avoir pris de décision.

C'est en 1345 que le pape Clément VI, élu en Avignon, décide de réformer le calendrier.

Il convoque plusieurs spécialistes dans ce but. L'un d'eux est Jean de Meurs qui, avec un autre expert Firmin de Belleval, propose au pape une solution dans une Epistola super reformatione antiqui kalendarii (lettre sur la réforme de l'ancien calendrier). Cette solution consiste à supprimer un certain nombre de jours d'une année déterminée et, par la suite, d'enlever un jour tous les 310 ans. Pour je ne sais quelle raison (une épidémie de peste serait peut-être une bonne hypothèse) la réforme ne se fit pas.

Pâques continuant à dériver, le cardinal Pierre d'Ailly présente, lors du seizième concile œcuménique de Constance en 1417 un traité Exhortatio super correctione calendarii (Exhortation à la reprise du calendrier) qui reprend tout l'argumentaire de Grosseteste, Sacrobosco et Bacon. Mais Pierre d'Ailly reconnaît que « la durée véridique de l'année n'est pas connue avec certitude » et, encore une fois, la réforme n'a pas lieu.

En 1436, l'astronome Nicolas de Cursa, en proposant une réforme pratiquement identique n'a pas plus de chance.

Au début du XVIe siècle, quand le calendrier marquait 21, l'équinoxe réel était déjà passé depuis 10 jours et les demandes de réforme du calendrier se faisaient de plus en plus pressantes et nombreuses.

En 1514, le pape Léon X demande à l'évêque hollandais Paul de Middelburg, astronome, de présider une commission chargée de l'amendement du calendrier. Peu importe la solution proposée puisque cette réforme ne vit pas le jour. Léon X avait eu la mauvaise idée de demander leur avis aux souverains de l'époque qui ne répondirent pas ou presque.

Une des lettres tomba dans les mains d'un astronome germano-polonais Nicolas Copernic (1473-1543), l'un des plus grands génies de son époque. Si je devais résumer son œuvre immense, je dirais qu'il inverse sur les cartes du ciel la position de la Terre et du Soleil. Du coup, la Terre ne devient plus qu'une simple planète comme les autres qui tourne (enfin !) autour du Soleil. Copernic indique que cette rotation se fait en 365,2425 jours (contre 365,2422 réels). Il hésite à publier ses travaux et ne le fait qu'à la fin de sa vie. Cette œuvre jouera un rôle majeur lors de la réforme de Grégoire XIII.

Le problème de la dérive de Pâques fut rediscuté lors de Concile de Trente (1545-1553) sans qu'une solution soit apportée sinon qu'un décret confiait le soin de la réforme au pape Pie IV.

En 1582, trois hommes vont réussir là où tous les autres ont échoué : Ugo Boncampagni, élu pape le 25 mai 1572 sous le nom de Grégoire XIII. Un médecin calabrais du nom de Luigi Lilio et un jésuite astronome bavarois, Christophorus Clavius.

En fait, la commission chargée de la réforme sous la présidence du cardinal Guglielumo Sirleto comportait d'autres membres, mais je ne cite que les plus importants.

Le pape Grégoire XIII se fait expliquer les propositions de réforme par la commission.
Le pape Grégoire XIII se fait expliquer les propositions de réforme par la commission. Scipio Turaminus / Public domain, via Wikimedia Commons

Le principal artisan de la réforme fut Luigi Lilio qui trouva les solutions aux problèmes qu'elle posait. Malheureusement, il ne put les exposer devant la commission pontificale puisqu'il décéda en 1576. Son porte-parole fut son frère Antonio lui-même médecin astronome.

Plusieurs textes parurent pendant et après la réforme dont voici la chronologie :

Mais voyons ce que contenait ce nouveau calendrier qui avait eu tant de mal à naître, aurait beaucoup de mal à être accepté par tous et le serait aujourd'hui presque universellement.

Le calendrier

Comme pour le calendrier julien et la réforme de César, le problème était double :

À cela s'ajoutait la fixation de la date de Pâques et son comput.

Je dis « s'ajoutait », mais c'était bien là le problème essentiel pour Grégoire XIII qui se moquait de la durée de l'année tropique comme de sa première tiare.

Une page de ce site étant consacrée au calendrier liturgique, nous allons éviter de mélanger ici le comput du temps et la fixation des fêtes religieuses.

Intéressons-nous donc à la réforme grégorienne du strict point de vue civil.

Le meilleur moyen de relever les nouveautés est peut-être de lire quelques extraits de la bulle pontificale du 24 février 1582 (merci à Rodolphe Audette pour la traduction) :

7. Afin donc que l'équinoxe vernal, qui a été fixé par les pères du concile de Nicée au douzième des calendes d'avril, soit replacé à cette date, nous prescrivons et ordonnons que soient supprimés du mois d'octobre de l'an 1582 les dix jours qui vont du troisième des nones à la veille des ides inclusivement, et que le jour qui suivra le quatrième des nones, où l'on fête traditionnellement saint François, soit appelé ides d'octobre ...

9. Ensuite, afin que l'équinoxe ne s'éloigne plus à l'avenir du douzième des calendes d'avril, nous décrétons qu'un bissexte devra être intercalé tous les quatre ans selon la coutume, sauf durant les années séculaires; mais que celles-ci, bien qu'elles aient toujours été bissextiles jusqu'à présent, et bien que nous voulions que l'an 1600 le soit encore, ne le seront plus toutes par la suite; mais que pour toute période de quatre cents ans, chacune des trois premières années séculaires s'écoulera sans bissexte, et que la quatrième sera bissextile, de telle sorte que les années 1700, 1800 et 1900 ne seront pas bissextiles; mais qu'en l'an 2000 un bissexte sera intercalé selon la coutume, février comptant 29 jours, et que le même ordre d'omissions et d'intercalations de bissextes durant chaque période de quatre cents ans sera respecté à jamais.

Nous retrouvons donc bien nos deux étapes :

En appliquant cette règle on en arrive à une année comptant 365,2425 jours au lieu de 365,2424 jours ce qui fait qu'en 10 000 ans le calendrier aurait trois jours de trop. Une règle (non grégorienne) aurait été fixée de considérer les années 4000, 8000, 12000... comme « normales ». L'année tropique sera-t-elle toujours la même en 4000 ? Il y a de fortes chances pour que nous ne soyons plus là pour répondre à la question.

Application de la réforme

Les modifications apportées par la réforme furent loin d'être appliquées immédiatement par tous les pays du monde catholique. Bien entendu, plus la réforme se fit tard et plus le nombre de jours à supprimer augmenta.

Voici une liste non exhaustive des dates d'application de cette réforme dans différents pays :

Pays Fin Julien Début Grégorien Nbre jours supprimés
Albanie 12/1912 12/1912
Autriche
Brixen, Salzbourg et Tyrol 05/10/1583 16/10/1583 10
Carynthia, Styria 14/12/1583 25/12/1583 10
Belgique
Provinces espagnoles 21/12/1582 01/01/1583 10
Liège (diocèse) 10/02/1583 21/02/1583 10
Bulgarie 01/11/1915 14/11/1915 12
Tchécoslovaquie (Bohème et Moravie) 06/01/1584 17/01/1584 10
Danemark 18/02/1700 01/03/1700 10
Égypte 1875 1875
Estonie 01/02/1918 15/02/1918 13
Finlande 17/02/1753 01/03/1753 11
France 09/12/1582 20/12/1582 10
Alsace 1648 1648
Lorraine 16/02/1760 28/02/1760 11
Strasbourg 05/02/1682 16/02/1682 10
Régions catholiques d'Allemagne
Augsbourg 13/02/1583 24/02/1583 10
Baden 16/11/1583 27/11/1583 10
Bavière (diocèse) 05/10/1583 16/10/1583 10
Cologne (archidiocèse) 03/11/1583 14/11/1583 10
Juliers 02/11/1583 13/11/1583 10
Mayence 11/11/1583 22/11/1583 10
Münster (ville et archidiocèse) 16/11/1583 27/11/1583 10
Strasbourg (diocèse seul) 16/11/1583 27/11/1583 10
Trèves 04/10/1583 15/10/1583 10
Würzburg (diocèse) 04/11/1583 15/11/1583 10
Régions protestantes d'Allemagne
Hildesheim (diocèse) 15/03/1631 26/03/1631 10
Kurland 1617 1617
Minden 01/02/1668 12/02/1668 10
Neuburg (palatinat) 13/12/1615 24/12/1615 10
Osnabrück (diocèse) 1624 1624
Paderborn (diocèse) 16/06/1585 27/06/1585 10
Prusse 22/08/1610 02/09/1610 10
Westphalie 01/07/1584 12/07/1584 10
Autres régions 18/02/1700 01/03/1700 10
Angleterre et colonies 02/09/1752 14/09/1752 11
Grèce 14/07/1916 28/07/1916 13
Hongrie 21/10/1587 01/11/1587 10
Transylvanie 14/12/1590 25/12/1590 10
Irlande 16/11/1700 28/11/1700 11
Italie 04/10/1582 15/10/1582 10
Lettonie 01/02/1918 15/02/1918 13
Lituanie 01/02/1918 15/02/1918 13
Pays-Bas
Hollande, Zélande, Brabant et Belgique actuelle 21/12/1582 01/01/1583 10
Gueldre 30/06/1700 12/07/1700 11
Utrech, Overijssel 30/11/1700 12/12/1700 11
Frise, Groningue 31/12/1700 12/01/1701 11
Drenthe 30/04/1701 12/05/1701 11
Norvège 18/02/1700 01/03/1700 10
Pologne 04/10/1582 15/10/1582 10
Silésie 12/01/1584 23/01/1584 10
Portugal 04/10/1582 15/10/1582 10
Roumanie 31/03/1919 14/04/1919 13
Russie 31/01/1918 14/02/1918 13
Espagne 04/10/1582 15/10/1582 10
Colonies américaines 1584 1584
Suède 17/02/1753 01/03/1753 11
Suisse
Lucerne, Uri, Schwyz, Zoug, Fribourg, Soleure 11/01/1584 22/01/1584 10
Valais 28/02/1655 11/03/1655 10
Zurich, Berne, Bâle, Schaffhouse, Geneve, Thurgovie 31/12/1700 12/01/1701 11
Appenzell, Glaris, St. Gall 1724 1724
Etats Unis
Colonies britanniques 02/09/1752 14/09/1752 11
Alaska 05/10/1867 18/10/1867 12
Yougoslavie 04/03/1919 18/03/1919 13

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