La réforme grégorienne : un jour ou l'autre

Présentation

Cette étude va nous mener d'un pays à un autre et, dans chacun, nous allons essayer de savoir comment s'y est déroulée la réforme grégorienne, quand elle fut appliquée et quel a été le ressenti des différentes classes de la population.

Elle n'est donc pas complète dès maintenant mais je préfère la mettre à votre disposition au fur et à mesure de l'avancée de mes recherches et au fil de mes lectures.

Rappels : naissance du calendrier grégorien

C'est le 24 février 1582 qu'à Tusculum (maintenant Frascati) que le pape Grégoire XIII délivre la bulle Inter gravissimas qui institue la réforme du calendrier julien. Le calendrier grégorien est né. Ce texte figure sur cette page ou sur le site de Rodolphe Audette que je remercie encore de m'avoir autorisé à publier sa traduction.

Pour rattraper le retard pris depuis le concile de Nicée sur l'année solaire on va sauter 10 jours dans le calendrier. Ce saut est prévu pour le lendemain du 4 octobre 1582 qui, au lieu d'être le 5 octobre 1582, sera le 15 octobre 1582.

10 jours envolés, ce n'est pas rien. Cela pose certainement des problèmes de toutes sortes (traites à payer, fêtes supprimées, décalage des tâches agricoles...) et le but de cette étude est, comme nous l'avons dit plus haut, de savoir « comment ça s'est passé » dans les pays concernés. Nous nous limiterons quand même à l'Europe actuelle et à la Russie.

Pourquoi le Russie ? Tout simplement parce qu'aucune page ne lui est dédiée dans les pages sur les calendriers et qu'il faut quand même bien parler de l'évolution des calendriers dans ce pays.

Comme nous allons avoir besoin de connaître les limites des différents Pays, Royaumes et États à l'époque de la réforme grégorienne, nous allons en voir une. Elle a été conçue par Alain Houot dont le site est ici et que je remercie vivement de m'avoir autorisé à publier ses cartes.

La réforme d'une manière générale

Le texte de la bulle fut adressé d'abord aux membres de l'Église catholique. De ce côté, pas de problème. Le pape étant l'autorité suprême, il ne restait plus qu'aux divers intéressés à s'exécuter.

Elle le fut aussi à tous les chefs des États chrétiens. Certes ces derniers étaient maîtres en leur Royaume mais, comme tout bon chrétien, ils se devaient de « rendre ce service » au pape.

Restaient les États non chrétiens ou ne reconnaissant pas l'autorité du pape. Comme on va le voir, aussi bien les États protestants que ceux de l'Église d'Orient traînèrent longtemps des pieds avant d'appliquer la réforme grégorienne.

La réforme en France : léger retard

On doit à Francesco Maiello (Histoire du calendrier de la liturgie à l'agenda) et à Jérôme Delatour (La réception du calendrier grégorien en France) de s'être penchés très longuement sur la réforme grégorienne en France. En y ajoutant nos propres commentaires, nous allons essayer de suivre cette réforme et l'importance qui lui a été donnée.

Commençons par nous remettre en tête les limites de la France à cette époque. Nous sommes en 1582 :

Autant le dire tout de suite, la suppression de 10 jours du calendrier prévue dans la bulle Inter gravissimas se fit en France du 10 au 19 décembre 1582 et, donc, le 9 décembre 1582 fut suivi du 20 décembre 1582. Or, toujours selon la bulle, cette suppression aurait due être effectuée en octobre et non pas en décembre. Pourquoi ce retard alors que l'Italie, l'Espagne et le Portugal avaient sans problème respecté les dates prévues dans l'Inter gravissimas ? J. Delatour y voit deux, et peut-être trois raisons.

Le prétexte qui arrange : Il a pour nom Antonio Lilio. Le pape lui avait accordé le privilège d'imprimer et de vendre le nouveau calendrier. A travers Antonio, le pape voulait récompenser l'astronome Luigi Lilio, son frère, concepteur du calendrier et mort en 1576.

Sur demande du pape, ce privilège fut aussi accordé à Antonio Lilio en France par Henri III. Le problème est qu'Antonio ne prit pas la peine de faire imprimer ni distribuer le calendrier. Et, sans calendrier, les imprimeurs français étaient coincés. Et octobre, mois officiel d'application de la réforme passa sans que le calendrier fut traduit ni imprimé.

L'ordonnance royale fixant les dates de la réforme en France fut rendue le 3 novembre 1582. Le lendemain, Henri III accordait à Jacques Kerver un privilège pour l'impression du calendrier. Il faut bien dire aussi qu'il en avait accordée une autre, en douce, le 16 septembre à Jean Gosselin lui donnant le droit d'imprimer des traductions françaises. Mais comme en mi-novembre, le nonce en France Giovanni Battista Castelli apprit que le pape avait annulé le privilège de Lilio, rien n'empêchait plus quiconque le voulait d'imprimer enfin le calendrier tant attendu. Et tout le monde s'y mit allègrement : Pillehotte à Lyon, Kerver à Paris mais aussi Platin à Anvers ou Basa à Rome.

La raison inavouable : Elle aurait eu pour nom Christophe de Thou, premier président au Parlement. Comme le souligne J. Delatour, il faut mettre cette raison au conditionnel parce qu'elle n'est pas prouvée et ressort d'une coïncidence troublante de dates.

Christophe de Thou était un personnage puissant et respecté. Il ne voyait pas d'un bon œil le Saint Siège s'immiscer dans les affaires de l'Église gallicane. Après un avertissement sans frais (2 ans de « résistance ») lors de l'adoption du style du premier janvier (le premier janvier devient premier jour de l'année) en 1564, il était, selon son fils Jacques-Auguste de Thou, bien décidé à ne pas faire adopter la réforme grégorienne. Il s'opposa au roi et... en tomba malade.

À partir de là, J. Delatour constate la coïncidence des dates :

La raison embarrassante : Elle a pour nom fêtes. Pour la (ou les) raison(s) que nous venons de voir ou, pour dire comme Paul de Foix, chargé d'expliquer les choses au pape "...qu'il y eust en cecy quelque empeschement que je ne pouvois sçavoir", il fallait bien trouver d'autres dates en remplacement des dates initialement prévues.

Il fallait supprimer 10 jours. Et surtout que Pâques 1583 soit célébrée le même jour en France qu'à Rome. Mais le roi voulait, lui, que Noël soit aussi célébré en même temps à Rome et à Paris. La réforme devait donc se faire avant le 25 décembre 1582.

Pas question de supprimer le 11 novembre qui était la date de fin des vacances du Parlement et celle de paiement des termes et de fin de certains contrats. Et puis, c'était une date trop proche de la décision du Conseil.

Pas question non plus de toucher au jour auquel « tout prend racine » (Sainte Catherine, 25 novembre), de toucher à la Saint-André fête importante du 30, de toucher à la fête du patron des marchands de vin, porteurs de charbon, bateliers... bref, à la Saint-Nicolas du 6 décembre, de toucher à la Conception Notre-dame du 8 décembre. On sauterait donc sans trop de dommages du 9 au 20 décembre.

Et tans pis pour la coupe sombre dans la période de l'Avent. Il suffisait d'avancer son début au 18 novembre 1582 pour les Parisiens. Ailleurs, ce fut comme on pouvait. Y compris fêter les dimanches de l'Avent... pendant la semaine.

Et tant pis aussi pour le pape qui avait pris la décision fin octobre début novembre de supprimer en France les jours du 11 au 20 février 1583. La décision française était déjà prise. Alors, basta pour celle de Grégoire. Est-ce pour lui être agréable que le roi organisa à Paris une immense procession le 9 décembre 1582 ? Ou pour fêter le dernier jour du calendrier julien en France ?

Henri III, attribué à François Quesnel, l'Ancien
Henri III, attribué à François Quesnel, l'Ancien © RMN-Grand Palais / Stéphane Maréchalle

Henri III (1551-1589). Fils d'Henri II, il régnera de 1574 à 1589. Il sera le dernier roi de la dynastie des Valois. Ci-dessous, l'ordonnance établissant le calendrier grégorien en France.

Ordonnance en forme de mandement adressée aux prévôts des villes, pour la réforme du calendrier.

Paris, 2 et 3 novembre 1582, publié à son de trompe par les carrefours de Paris, le 10.

Nostre amé et féal, ayant nostre sainct père le pape Grégoire treiziesme ordonné un calendrier ecclésiastique, lequel sa saincteté nous a envoyé, comme à tous les autres roys, princes et potentats de la chrestienté, par lequel elle a trouvé estre nécessaire de retrancher dix jours entiers en la présente année, pour les causes et raisons amplement déduites par iceluy. Et combien qu'elle ait ordonné que ledit retranchement seroit dedans le mois d'octobre dernier passé, néantmoins n'aurions peu le faire exécuter et ensuivre audit mois. Et voulans que les sainctes ordonnances du sainct siége ayent cours, et soient observées en nostre royaume, comme il convient, mesme en ce fait, pour ne nous des-unir et séparer des autres princes qui ont jà receu et fait observer ledit calendrier: nous voulons et ordonnons qu'estant le 9ejour du mois de décembre expiré, le lendemain que l'on compterait le 10 soit tenu et nombré par tous les endroits de nostre royaume, le 20ejour dudit mois, le lendemain 21e auquel se célèbrera la feste sainct Thomas. Le jour d'après sera le 22e, le lendemain 23e, et le jour ensuivant 24e. De sorte que le jour d'après, qui autrement et selon le premier calendrier eust esté le 15e, soit compté le 25e, et en iceluy célébrée et solemnisée la feste de Noel. Et que l'année présente finisse six jours après ladite feste, et la prochaine, que l'on comptera 1583, commence le 7ejour après la célébration d'icelle feste de Noel. Laquelle année et autres subséquentes auront après leur cours entier et complet comme devant. De laquelle nostre intention et ordonnance avons bien voulu vous advertir, afin qu'ayez à l'ensuivre, faire observer, et pourvoir au service qui se doit faire aux advents de ladite feste de Noel, et à autres festes ordonnées par l'église esdits jours retranchez. Et la faire proclamer et lire aux prosnes des églises de vostre diocèse, comme nous enjoignons présentement à nos cours de parlement, baillifs et séneschaux, faire en l'estendue de leur ressort et jurisdiction, afin que nul n'en puisse prétendre cause d'ignorance. Et à ce ne faites faute, car tel est nostre plaisir.

Comment fut accueillie la réforme en France ?

Francesco Maiello, dans son livre, précise qu'un quart seulement des livres de raison tenus vers 1582 notent l'introduction du calendrier grégorien. Les livres de raison sont des journaux personnels qui peuvent contenir aussi bien des informations économiques (comptabilité de ménage ou d'artisan) que des renseignements sur la vie quotidienne (événements familiaux, transcriptions d'almanachs, etc). Ils étaient habituellement tenus par le Chef de Famille.

Fort justement F. Maiello en déduit que notre système actuel d'orientation dans le temps par années, mois et quantièmes de mois, bref, par dates, était loin d'être entré dans les mœurs. La citation précise d'un jour (24 Août 1572 par exemple) était rare. On utilisait plus souvent les fêtes religieuses (Saint Barthélémy pour prendre le même exemple) pour se repérer.

"Dans les campagnes françaises, les paysans se repéraient dans le temps grâce aux phénomènes saisonniers mais aussi aux fêtes, et en particulier celles ces saints" écrit F.Maiello. Pour preuve les dictons que nous connaissons encore. Prenons-en un au hasard : « A la sainte Luce, les jours croissent du saut d'une puce ».

Choix pas si hasardeux qu'on peut le dire. Avant la réforme, la sainte Luce était au 23 décembre, juste après le solstice. Mais, après la réforme, avec dix jours de moins, la sainte Luce se trouva avancée au 13 décembre, période où les jours décroissent encore.

En 1588, Etienne Tabourot des Accords tenta de remplacer ce dicton par « Le soleil, la veille de Noël s'esquive ». Peine perdue.

Il n'en restait pas moins vrai que le nouveau calendrier touchait aussi à ce qui n'était pas une mesure quantitative du temps. Sans parler de l'échéance du règlement des fermages et autres traites.

J. Delatour va nous aider à y voir plus clair dans l'accueil qui fut donné à la réforme grégorienne dans les différentes classes de la population.

À part quelques initiés, la majorité de la population française fut prise de court par cette réforme qui s'appliqua assez brusquement. De l'ordonnance royale du 2 novembre à la suppression des dix jours de décembre, il ne se passa pas beaucoup de temps. Comment aurions nous réagi si l'entrée dans l'euro s'était produite de la même manière, brusquement et sans explications ?

Selon J. Delatour le nouveau calendrier fut reçu de manière différente selon, d'une part, le niveau d'instruction et, d'autre part, la religion.

Dans le domaine des contrats, tout se passa relativement bien. Le parlement de Paris avait bien insisté sur le fait que les termes ne seraient pas raccourcis de dix jours. De leur côté, les tribunaux royaux veillèrent à ce que cette règle fut strictement respectée.

Les plus instruits, eux, accueillirent assez favorablement le nouveau calendrier en ne manquant pas, au passage, de « blâmer l'obscurantisme populaire » comme l'écrit J. Delatour.

Le meilleur témoin de cet accueil mitigé de la réforme selon les classes est peut-être Montaigne qui, tantôt se plaint de ce changement

"Que l'eclipsement nouveau des dix jours du Pape, m'ont prins si bas, que je ne m'en puis bonnement accoustrer. Je suis des années, ausquelles nous comtions autrement. Un si ancien et long usage, me vendique et rappelle à soy. Je suis contraint d'estre un peu heretique par là. Incapable de nouvelleté, mesme corrective. Mon imagination en despit de mes dents se jette tousjours dix jours plus avant, ou plus arriere : Et grommelle à mes oreilles. "

et tantôt constate qu'il n'a rien qui puisse affecter la vie des agriculteurs qui usent d'une autre mesure du temps

"Combien de changemens doivent suyvre ceste reformation ! Ce fut proprement remuer le ciel et la terre à la fois. Ce neantmoins, il n'est rien qui bouge de sa place : Mes voisins trouvent l'heure de leurs semences, de leur recolte, l'opportunité de leurs negoces, les jours nuisibles et propices, au mesme poinct justement, où ils les avoyent assignez de tout temps."

Portrait présumé de Montaigne, anonyme
Portrait présumé de Montaigne, anonyme Photo (C) RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda

Michel Eyquem de Montaigne (1533-1592). Après des études de droit, il devient magistrat, d'abord à Périgueux, puis au parlement de Bordeaux.

En 1571, il prendra la décision de se retirer dans la « librairie » de son château (en Dordogne) pour y lire et écrire. Il y était bien placé pour juger de l'impact de la réforme grégorienne sur le vie quotidienne des agriculteurs.

Et les savants ? Ils constatèrent très vite les failles de la réforme grégorienne (année encore trop longue, oubli de compenser les jours excédentaires accumulés entre la réforme julienne et le concile de Nicée). Leurs réactions furent, pour eux aussi, très variées. Mesurée pour le protestant Scaliger, « inventeur » du jour julien. Virulente pour un autre protestant, le mathématicien François Viette qui, selon J. Delatour "accusait Clavius d'avoir dénaturé les principes du calendrier conçu par Lilio au point de rabaisser le calendrier grégorien au rang de calendrier vulgaire. Clavius réfuta facilement des arguments qui ne tenaient pas compte des réalités pratiques.

Petit à petit, bon gré mal gré, le calendrier grégorien finit par s'imposer en France.

La réforme en Angleterre : « rendez-nous nos onze jours ! »

D'abord une petite carte de la Grande-Bretagne et de ses possessions en 1763, année proche de celle de la réforme en Grande-Bretagne.

Un précurseur

Nous ne pouvons quand même pas oublier que si, en 1263, le pape Clément IV avait prêté attention aux exhortations de Roger Bacon à une réforme du calendrier, nous aurions peut-être connu un calendrier « Clémentien ».

En effet, Bacon signale au pape (dans ses ouvrages opus majus et opus tertium) que le phénomène de précession des équinoxes fait que l'année du calendrier avance de près de 11 minutes par an sur l'année solaire. Ce qui nous fait une journée entière tous les 120 ans. Et ce qui fait que Pâques est fêtée à une date erronée.

Roger Bacon représenté en couleur, d'après l'ouvrage Symbola aureae mensae duodecim nationum, page 450
Roger Bacon représenté en couleur, d'après l'ouvrage Symbola aureae mensae duodecim nationum, page 450 Michael Maier, Public domain, via Wikimedia Commons

Polémiste infatigable, philosophe hardi, mathématicien, logicien, grammairien et expérimentateur accompli, Roger Bacon (1212-1294) est la figure la plus originale de la pensée franciscaine du XIIIe siècle.

Se disant lui-même « très savant en toutes sciences » et lecteur d’Aristote « plus qu’aucun autre » avant lui, il est à la fois le premier promoteur de la méthode expérimentale et le plus grand linguiste de son temps. Encyclopédie universalis.

Ce fut une erreur de remettre en cause les enseignements de l'Église et les suppliques véhémentes de Bacon restèrent lettre morte.

Une tentative avortée

En 1582, Francis Walsingham, conseiller de la reine Élisabeth Ire, reçoit une copie de la bulle Inter gravissimas dans une correspondance diplomatique et la transmet pour avis au nom du Conseil Privé (assemblée restreinte d'une vingtaine de personnes toutes dévouées à la reine) à John Dee.

Personnage captivant et déroutant ce John Dee. Scientifique et mathématicien de premier ordre, il n'en pratique pas moins l'astrologie. C'est en réalisant l’horoscope de Marie Ire Tudor qu'il entrera à la cour. Son influence sera telle que la reine Élisabeth Ire, suivant ses prédictions et conseils, fixera son couronnement au 17 janvier 1559. Philosophe, il n'en pratique pas moins la magie. Copernicien convaincu, il n'en affirme pas moins converser avec les anges.

John Dee (1527-1608 ou 1609)
John Dee (1527-1608 ou 1609) Public domain, via Wikimedia Commons

La réputation scientifique de John Dee (1527-1606), astronome, géographe et mathématicien du XVIe siècle, est née de ses recherches en alchimie, en astrologie et en occultisme. Nommé Astrologue royal, il établit les horoscopes d'Elisabeth Ire. Également consultant scientifique de la Cour, il est amené en 1553 devant la Star Chamber et accusé, mais en vain, de sorcellerie et d'hérésie. Trente ans plus tard, la foule, épouvantée par ses connaissances en matière de magie noire, détruit sa maison et sa librairie (la plus grande collection philosophique et scientifique de l'Angleterre élisabéthaine).
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Doté d'une bibliothèque personnelle considérée comme l'une des plus fournie du Royaume, au courant de toutes les publications astronomiques, il est expert des mouvements du Soleil et de la Lune.

C'est dire s'il était à même de donner un avis plus qu'autorisé sur la question du calendrier qui lui était posée par Walsingham.

Dee s'attela donc à la tâche avec enthousiasme et remis à Lord Treamer Burghley, conseiller de la reine, un traité de 62 pages : "Loyale adresse et humbles conseils à notre gracieuse reine Elizabeth, lesquelles Sa Très Haute Majesté daigner consulter et considérer, concernant la nécessaire réformation du calendrier ordinaire pour le décompte et vérification des années et des jours civils, selon le temps réellement écoulé".

Ce titre contient en soi pratiquement tout ce que va développer le reste du texte. Attachons nous à quelques mots :

En fin de compte, dans un projet de calendrier pour 1583, Dee ne supprima que 10 jours.

Pourquoi cette différence ? Il existe deux interprétations que je vous donne sans qu'elles soient trop vérifiables.

La première serait que Burghley aurait soumis le texte de Dee à trois autres conseillers de la reine et que ces derniers, bien qu'accordant à Dee la validité de ses calculs, auraient jugé préférable de composer un calendrier en phase avec celui des autres pays du monde qui adoptaient la réforme grégorienne. Nicée ayant été initié par Constantin et non par le pape, l'honneur protestant était sauf de ce côté.

La seconde serait que personne ne l'obligea à rien sauf son propre système d'années bissextiles basé un un cycle de 33 ans conçu par un aumônier du nom de Richard Monk. Dee avait conçu son premier calendrier en 1582 et 11 jours de rattrapage étaient nécessaires. Du fait qu'il refît sa copie pour 1583 et de son système d'années bissextiles, il aurait ajouté une note disant que dix jours étaient désormais suffisants puisque 1583 serait pour lui bissextile. Tout cela mérite une sérieuse vérification.

Quoiqu'il en soit, il fallait encore obtenir l'approbation de l'Église anglicane avant de mettre la réforme en œuvre. L'approbation de l'Église fut donc sollicitée... et ne fut pas obtenue.

L'Église, en la personne de Edmond Grindal, archevêque de Cantorbéry, après avoir traîné des pieds pour répondre au point de se faire tirer les oreilles par la reine qui dut le relancer, avança des raisons purement religieuses : "Considérant que l'évêque de Rome est un Antéchrist, nous ne pouvons communier (communicate) avec lui en aucune chose".

Dee rétorqua fort justement que ce n'est pas le pape qui fait le calendrier mais l'astronomie. Un projet de loi fut déposé au parlement, "Acte conférant à Sa Majesté autorité pour amender notre calendrier et le conformer au nouveau calendrier en usage dans d'autres pays".

Et les choses en restèrent là.

On peut raisonnablement penser que la « Sa Majesté » en question ne voulait pas entrer en guerre ouverte contre son Église à une époque où le conflit naissant contre l'Espagne suffisait largement à occuper ses journées.

Deux autres tentatives furent faites de réformer le calendrier en 1645 et 1699 avec les mêmes réactions négatives de l'Église.

Ce qui aurait (conditionnel) fait dire plus tard à l'astronome Johannes Kepler (1571-1630) que « Les protestants aiment mieux être en désaccord avec le Soleil que d'accord avec le pape. » Cette phrase aurait été reprise par Voltaire. J'aimerais bien savoir où !

Une réforme aux petits oignons

Les choses n'en restèrent d'ailleurs pas tout à fait là.

Parce qu'en 1700 le décalage augmenta d'un jour encore. Cette année était bissextile dans le calendrier julien et pas dans le calendrier grégorien.

Parce que 1707 voit un Acte d'union faire naître un véritable royaume de Grande-Bretagne (Angleterre, Écosse, Galles), précurseur du futur Royaume-Uni de 1801. Et comme l'Écosse a adopté depuis 1600 le style du 1 janvier (tout en restant dans le calendrier julien) et que l'Angleterre en est toujours au style du 25 mars, il y a pendant trois mois une différence de un an dans les dates.

Parce qu'en 1750 l'Angleterre est reconnue comme une des nations à la pointe du progrès scientifique en général et de l'industrie horlogère en particulier. Et que cela fait mauvais effet de conserver un calendrier « primitif » qui n'a plus de justification scientifique.

Parce qu'à la même époque, l'Angleterre est devenu une grande puissance économique et commerciale mondiale. Même si les Anglais s'accommodaient vaille que vaille à la fois de leur calendrier et du calendrier grégorien en datant leurs correspondances internationales dans l'ancien style (Old Style) et le nouveau style (New Style), c'était quand même un peu agaçant pour eux et leurs correspondants.

Bref, l'Angleterre était mure pour une réforme. Il manquait juste un événement déclencheur et une volonté pour la faire. On trouva les deux en 1750. L'événement déclencheur eut pour nom George Parker et la volonté Philip Dormer Stanhope comte de Chesterfield (Lord Chesterfield pour les intimes).

Tout commence donc le 10 mai 1750 à la Société royale des sciences (équivalent de notre Académie des sciences) par un discours aussi ennuyeux que son titre « Remarques sur les années solaires et lunaires, le cycle de 19 ans communément appelé »nombre d'or", les épactes, et sur la méthode de calculer le temps de Pâques,telle qu'elle est en usage dan la plupart des nations d'Europe".

L'auteur de ce texte aussi triste que ma page sur le calendrier liturgique était George Parker, deuxième Comte de Macclesfield, astronome amateur et, excusez du peu, ami de James Bradley l'astronome royal qui n'est plus à présenter.

À ses compatriotes qui ne dormaient pas (je dis ça mais je n'en sais rien) Parker expliqua à quel point leur calendrier était erroné tant sur la longueur de l'année que sur le calcul de la date de Pâques. Ce que Dee avait déjà dit 170 ans plus tôt.

S'il en était un qui ne dormait pas à l'écoute de cette allocution, c'était Lord Chesterfield qui, bien que non spécialiste, va se lancer dans la réforme du calendrier.

Philip Dormer Stanhope, 4e comte de Chesterfield (1694-1773), écrivain et homme d'État anglais, réputé pour la correspondance pleine d'esprit qu'il entretint avec son fils.
Philip Dormer Stanhope, 4e comte de Chesterfield (1694-1773), écrivain et homme d'État anglais, réputé pour la correspondance pleine d'esprit qu'il entretint avec son fils. Allan Ramsay, Public domain, via Wikimedia Commons

Chesterfield naquit à Londres. Après des études à Cambridge, il embrassa la carrière politique (1715), fut élu à la Chambre des communes puis entra à la Chambre des lords en 1726, succédant à son père. Défenseur de la politique de Robert Walpole, Chesterfield devint ambassadeur aux Pays-Bas (1728-1732) ; par la suite, limogé pour s'être opposé à l'instauration d'un nouvel impôt, il rejoignit l'opposition. Entre 1745 et 1764, il exerça la fonction de « lord lieutenant d'Irlande », s'efforçant de réconcilier les factions ennemies, puis, celle de secrétaire d'État auprès de George II. Il mourut à Londres le 24 mars 1773.

Il n'y connaît peut-être rien à l'astronomie mais c'est un homme plein d'esprit et futé. Alors, il va ruser et user de nouveaux moyens de communication : la presse écrite. Sous un pseudonyme, il publie des articles à la fois didactiques et amusants dans The World, journal londoniens. À force, il devient comme il l'écrit lui-même à son fils « une sorte d'astronome malgré moi » (malgré moi en français dans le texte).

Il finit par emporter l'adhésion des membres de son parti et introduit à la Chambre des Lords une proposition de loi sous le titre de « Loi pour réglementer le commencement de l'année et pour rectifier le calendrier en usage ».

La lettre qu'il écrit à son fils est très révélatrice sur les moyens employés : "... je commençai par prendre langue avec les meilleurs juristes et les plus habiles astronomes et tous ensemble nous concoctâmes un proposition de loi pour cet objet... je prétendais proposer un texte... farci de calculs astronomiques auxquels je n'entendais pas un traître mot... Ainsi, je décidai de séduire plutôt que de convaincre et je leur débitai l'histoire des calendriers... avec des anecdotes propres à divertir... Ils songèrent que j'en savais long, dès l'instant que je ne les ennuyais pas et beaucoup jurèrent que je leur avais bien fait tout comprendre..."

La partie était gagnée et c'est fort justement que, comme il l'écrivit lui-même c'était sa« stratégie qui avait fait passer un texte difficile ».

La loi fut, après les trois lectures habituelles, adoptée le 17 mai 1751 et promulguée le 22 mai 1751 par le roi George II.

Il faut bien reconnaître que le texte concocté par le Parlement et Chesterfield était un modèle du genre. Concis, clair, complet, il était tout le contraire des textes ampoulés et interminables de l'époque.

Nous n'allons pas le reproduire sur cette page parce qu'il est relativement long et qu'il entre dans des détails sans grand intérêt pour notre sujet. Vous pourrez en découvrir l'intégralité, découpée en paragraphes ici.

Qui dit ce texte ?

D'abord, le début de l'année est fixé au premier janvier à compter de 1752. 1751 n'aura donc compté que 282 jours puisque le 31 décembre 1751 sera suivi du 1 janvier 1752.

Ensuite, la loi ordonne la suppression de 11 jours de l'année 1752 en Angleterre et dans ses colonies. Le mercredi 2 septembre 1752 sera suivi du jeudi 14 septembre.

De plus, le nouveau calendrier s'impose à tous : clergé, civils, public, privé.

Le système des années bissextiles et la fixation de la date de Pâques s'accordent à la méthode grégorienne sans la nommer.

Enfin tout le reste du texte s'attache à prévenir tous les problèmes économiques, religieux, juridiques, administratifs qui pourraient découler de la réforme. Tout y passe, réunions et assemblées de tous corps, conventions, coutumes, négociations commerciales, dates des foires et marchés, transactions, contrats, intérêts, loyers, agios, âge légal de la majorité à 21 ans, fin d'engagement des domestiques et même les détenus sur le point d'être libérés... Une merveille d'inventaire. Tout le contraire de la France qui traitait au cas par cas les problèmes devant les tribunaux. Tout était prévu...sauf....

Sauf la réaction de l'Église. On s'attendait peut-être encore à une ferme opposition. Il n'en fut rien et l'Église, consciente peut-être d'avoir à se reprocher 170 ans de refus mal justifiés, accueillit la réforme avec bienveillance. Allant même jusqu'à inventer la devise « Nouveau style, style véritable ».

Sauf que les banquiers de Londres refusèrent de payer leurs impôts à la date traditionnelle du 25 mars 1753 mais 11 jours plus tard, le 5 avril 1753. Depuis, cette date est toujours la date limite de paiement des impôts en Grande-Bretagne.

Sauf les manifestations au cri de « Rendez-nous nos onze jours ! ». Elle ne furent pas si nombreuses qu'on a bien voulu le dire, ces manifestations. Tout au plus quelques-unes à Londres et à Bristol. Du fait de gens un peu perturbés qui s'inquiétaient pour leurs « intérêts », qui protestaient contre le changement de date des fêtes religieuses ou pensaient se voir supprimer 11 jours de salaire. Combien étaient-ils à penser qu'on leur enlevait vraiment 11 jours de vie ?

On était quand même loin de l'émeute et le slogan crié serait presque passé inaperçu sans les gravures de William Hogarth. Observez bien le panneau au sol, sous la jambe du chauve.

William Hogarth, Le Repas à l’auberge, huile sur toile, premier sujet de la série « The Election », 1754-1755. Sir John Soane’s Museum, Londres.
William Hogarth, Le Repas à l’auberge, huile sur toile, premier sujet de la série « The Election », 1754-1755. Sir John Soane’s Museum, Londres. © Sir John Soane's Museum
An Election Entertainment, Plate I: Four Prints of an Election, gravure en haute définition
An Election Entertainment, Plate I: Four Prints of an Election, gravure en haute définition William Hogarth, CC0, via Wikimedia Commons

William Hogarth (1697-1764), un Anglais typique jusqu’à la caricature, nationaliste, francophobe, attaché aux libertés publiques et au système politique de monarchie parlementaire dont se dote alors son pays, participant pleinement à l’essor économique, aux mutations sociales et aux débats intellectuels de l’Angleterre géorgienne ? Mais si ses œuvres constituent souvent de précieux documents historiques, son art ne se restreint pas à la seule illustration de son époque. Encyclopédie universalis.

Peut-on dire que les Anglais adoptèrent en 1751-1752 le calendrier grégorien ?

Les motivations de Lord Chesterfield n'étaient aucunement religieuses mais civiles. On peut donc dire qu'il y eu en Angleterre une réforme du calendrier julien de manière à ce qu'il puisse coïncider avec le calendrier grégorien des autres nations. Mais il n'y a pas eu adoption du calendrier grégorien.

Même si, à la sortie, le résultat est le même.

La réforme en Suisse : on prend son temps

Si on donnait un « top chrono » au départ de la réforme grégorienne en Suisse (ou, plus précisément à la confédération des XIII cantons) en 1582, il faudrait donner le « top chrono » de fin de la réforme en 1812 soit plus de 230 ans après.

Pourquoi un temps si long pour passer du calendrier julien au calendrier grégorien ?

Essentiellement pour deux raisons :

Avant de tenter d'y voir plus clair dans les étapes de la réforme grégorienne elle-même, rappelons-nous quelques grandes lignes de l'histoire de la Confédération Suisse qui vont nous aider à les comprendre.

Découpage de la confédération des XIII cantons et cultes aux XVIe et XVIIe siècles

Carte de la confédération des XIII cantons au XVIe siècle
Carte de la confédération des XIII cantons au XVIe siècle ©Encyclopædia Universalis 2004, tous droits réservés
Cartes des cultes dans la confédération en 1530
Cartes des cultes dans la confédération en 1530 © CLIOTEXTE, 1997-2006, Patrice Delphin
Cartes des cultes dans la confédération en 1650
Cartes des cultes dans la confédération en 1650 © CLIOTEXTE, 1997-2006, Patrice Delphin

La confédération comprend donc

Pour tout savoir sur les cantons actuels, voir l'excellente page sur Wikipedia ici.

Evolution de la réforme grégorienne

Souvenons-nous de la phrase de Johannes Kepler (1571-1630) : « Les protestants aiment mieux être en désaccord avec le Soleil que d'accord avec le pape. »

Si on y ajoute celle d'un Saint-Gallois "si je voulais faire signer aux XIII cantons et aux pays alliés une déclaration portant que nous avons de la neige en hiver, une douzaine de référendums n'y suffiraient pas", on comprend déjà mieux pourquoi la réforme grégorienne sera si longue à être appliquée à l'ensemble de la Confédération.

Le réforme est présentée pour la première fois à la diète générale des cantons le 10 novembre 1583.

Avec un certain effet retard qui a pour nom Landsgemeinde les cantons catholiques dans leur grande majorité obéissent au pape et on y passera du 11 janvier 1584 (dernière date julienne) au 22 janvier 1584 (première date grégorienne) . Même Landeron, alliée de Soleure sera du mouvement.

Obwald et Nidwald traineront encore des pieds un mois avant d'adopter la réforme sur intervention de l'évêque de Constance Marc Sittich auprès de ses ouailles des Rhodes-intérieures. On ne sait pas la date exacte du changement de calendrier. Les Rhodes-extérieures, quant à elles, attendront 1724 si ce n'est pas 1798. Encore aujourd'hui le petit village d'Urnäsch (2500 habitants environ) réveillonne deux fois pour le nouvel an : le 31 décembre et le 13 janvier (voir ici)

Ouvrons une petite parenthèse pour évoquer le diocèse de Bâle. En 1583, il a déjà perdu la ville de Bâle et ne deviendra allié des cantons catholiques qu'en 1589.

Selon le conservateur des AAEB (Archives de l'ancien Évêchéde Bâle) que je remercie vivement pour ses informations, le changement de dates s'est effectué par deux mandats : l'un du 3 janvier 1584 qui faisait passer, comme on l'a vu pour les cantons catholiques, du 11 janvier 1584 (dernière date julienne) au 22 janvier 1584 (première date grégorienne). Mais, chose étonnante, ce mandat avait été précédé d'un autre daté du 15 octobre 1583 qui ordonnait de passer du 20 octobre suivant au 30 octobre 1583. Comme il ne peut y avoir cumul des deux réformes, il serait intéressant de savoir quelle était la population concernée par celle ordonnée le 15 octobre 1583.Si vous avez des éléments à ce sujet, n'hésitez pas à me contacter.

Bien entendu, les cantons réformés (y compris les parties réformées de l'évêché de Bâle) refusent le nouveau calendrier. Ils entraînent leurs alliés dans un mouvement de résistance à la tête duquel on trouve les puissants cantons de Zurich et Berne.

Pour ajouter à la confusion se pose le problème des bailliages communs (Thugovie, Argovie...) où règne le pluralisme confessionnel puisqu'ils sont sujets de cantons de confessions différentes.

De palabres en discussions on arrive à un compromis en 1585 qu'on peut résumer par « chacun fait ce qu'il veut ». Il en ressort que les diètes générales seront fixées selon le nouveau calendrier. Les fêtes religieuses seront célébrées dans le nouveau calendrier mais les protestants peuvent célébrer certaines fêtes dans le nouveau style à moins que la commune soit à majorité catholique ou protestante.

Quant aux villes, cantons protestants et alliés, ils en restent au calendrier julien.

C'est ainsi qu'on va voir des fêtes comme Noël ou Pâques célébrées à dix jours d'intervalle dans une même église dans les petites communes qui font « église commune » entre catholiques ou protestants.

Cette cacophonie va durer jusqu'en 1700/1701 avec quelques changements sporadiques.

C'est ainsi que le Bas-Valais, pays sujet, passera au calendrier grégorien en 1622 alors que l'ensemble du Valais passera du 1 mars 1656 (calendrier julien) au 11 mars 1656 (calendrier julien). Sauf, bien entendu, ceux qui pratiquaient déjà le nouveau calendrier. On imagine la pagaille entre 1622 et 1656 où beaucoup d'écrits devaient comporter deux dates.

Le 13 février 1700, les dirigeants de Genève alertent leurs alliés de Berne et Zurich que les États protestants d'Allemagne envisagent de passer au nouveau calendrier le 1 mars suivant et leur demandent leur avis sur le sujet. Berne, en concertation avec Zurich répond... « qu'il n'y a pas le feu au lac » et qu'on en reparlera lors de la prochaine conférence des cantons évangéliques.

Cette conférence se tiendra du 10 au 14 avril (julien) à Aarau en présence des cantons protestants de Zurich, Berne, Bâle, Schaffhouse, les parties protestantes de Glaris et Appenzel ainsi que les villes alliées de Bienne, St-Gall, Mulhouse, Neuchâtel et Genève. On y examine une lettre du 30 décembre 1699 émanant des participants à la diète de Ratisbonne (Diète d'Empire à partir de 1663) par laquelle ils informent de leur décision d'adopter le nouveau calendrier. Les raisons en sont économiques.

Et c'est lors d'une nouvelle conférence réunie à Baden en juillet 1700 que l'on décide que l'année 1701 commencera le 12 janvier. On passera donc du 31 décembre 1700 (julien) au 12 janvier 1701 (grégorien).

Faut-il d'ailleurs parler de « calendrier grégorien » ? Parce que la conférence de Baden prend bien soin de préciser que les participants à la diète de Ratisbonne ont décidé, non pas d'adopter le « calendrier grégorien » mais le « calendrier julien réformé ».

Si la réforme va se faire dans la plupart des cantons protestants et alliés réunis à Aarau, certains vont encore traîner des pieds comme la ville de Saint-Gall qui attendra 1724 et la partie réformée de Glaris qui n'adoptera le calendrier julien réformé qu'en juillet 1798.

Dans les Grisons, suivre l'évolution de la réforme grégorienne tient de l'impossible. En schématisant, on peut dire que le passage au nouveau calendrier se fit vers 1623/1624 dans les communes catholiques et en ordre dispersé dans les communes « mixtes » (milieu du XVIIe siècle pour les catholiques et un siècle plus tard et plus pour les protestants)

La longue histoire de la réforme grégorienne en Suisse se terminera en 1812 quand, justement, dans deux petits villages des Grisons, Schiers et Grüsch (District de Prättigau), contraints et forcés, adoptèrent ce nouveau calendrier qui avait déjà près de 250 ans d'existence. Record battu en Europe pour ces deux irréductibles villages. Astérix avait fait des émules.

La réforme en Russie : il faudra attendre... plus de trois siècles

Commençons par poser le théâtre des opérations

Pour ceux qui seraient intéressés par une chronologie de l'histoire russe je conseille ce site. Évitons d'aller chercher cette chronologie sur Wikipédia au risque de manquer l'existence de Pierre le Grand. Rien que ça.

Pourquoi ne pas consacrer une page entière au seul calendrier russe ?

J'ai beaucoup hésité à le faire mais on ne peut pas dire que le calendrier russe, quelle que soit l'époque, présente des caractéristiques propres qui feraient qu'on à affaire à un calendrier original. Avec des années de retard, quand ce n'est pas des siècles, la Russie se contente d'adopter ce que les autres pays possèdent et utilisent depuis longtemps.

Cependant, pour ne rien manquer, nous suivrons les évolutions et modifications de ce calendrier bien en deçà de la seule réforme grégorienne.

D'abord, un calendrier byzantin

Les Russes utilisèrent le calendrier julien jusqu'au XXe siècle.

Plus précisément, ils utilisèrent le calendrier byzantin qui n'est rien d'autre que le calendrier julien avec quelques variantes :

Deux questions à se poser :

  1. Quel était le type de calendrier en usage dans l'antique Russie avant le calendrier byzantin ? La réponse est simple : ben... boff...pffff... on sait pas trop.
  2. Comment était positionné le jour bissexte dans le calendrier byzantin ? Comme dans le calendrier julien, en doublant le 24 février (sixième jour avant les calendes de mars du calendrier julien).

Du calendrier julien au calendrier grégorien

C'est à Pierre le Grand (1672-1725) que les Russes doivent des modifications qui tendent à faire du calendrier byzantin un pur calendrier julien.

Portrait de Pierre Ier, au musée de l'Ermitage, Saint Petersbourg
Portrait de Pierre Ier, au musée de l'Ermitage, Saint Petersbourg Jean-Marc Nattier, Public domain, via Wikimedia Commons

Pierre Ier Alexeïevitch, surnommé Pierre le Grand, premier empereur de toutes les Russies né au Kremlin de Moscou le 9 juin (30 mai) 1672, mort à Saint-Pétersbourg le 8 février (28 juillet) 1725. Les Russes lui doivent des modifications majeures de leur calendrier mais il ne franchira pas le pas de la réforme grégorienne.

Contre l'opposition de l'Église il décide que l'année commencera le 1er janvier. De plus, il fait décompter les années selon l'ère chrétienne. Le 1 janvier 7208 devient ainsi le 1 janvier 1700 qui est le début de l'année. Nous sommes toujours dans un calendrier julien alors que le calendrier grégorien existe déjà depuis près de 130 ans. En 1709 le premier calendrier julien russe est imprimé 127 ans après la naissance du calendrier grégorien.

Mais il faut quand même noter que le département des affaires étrangères russe utilise depuis le XVe siècle le calendrier grégorien dans ses relations avec les pays étrangers.

En 1829, un projet de révision du calendrier est proposé par le Département d'Instruction Publique à l'Académie de Science.

C'est le Prince Lieven (lequel ??) qui soumet le projet au Tsar Nicolas Ier en lui taillant des croupières (au projet, au projet ! pas au Tsar) . Il le dénonce comme "prématuré, inutile et propre à produire des bouleversements et confusions d'esprit parmi les gens." Et il rajoute que "l'avantage d'une réforme de ce genre serait faible et insignifiant alors que les inconvénients et difficultés seraient inévitables et grands."

Le Tsar nota sur le rapport: « Les commentaires du Prince Lieven sont exacts et juste. » et s'en fut fini de ce projet de réforme."

Il faudra attendre 1918 pour que la réforme grégorienne s'impose peu ou prou en Union Soviétique.

Photo de Lénine, en juillet 1920
Photo de Lénine, en juillet 1920 Pavel Semyonovich Zhukov (1870-1942), Public domain, via Wikimedia Commons

Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine (l'homme de la Lena) (22 avril 1870 - 21 janvier 1924), fondateur du parti bolchevique et fondateur de l'Union soviétique va imposer, après la révolution d'octobre, le « style grégorien ».

L'initiative de cette réforme revient à Lénine dans le but, selon lui « d'être en concordance avec tous les pays civilisés du monde ».

Aux termes d'un décret du Conseil des commissaires du peuple du 24 janvier 1918 le calendrier rectifié portant le nom de « nouveau style » est adopté.

Cette adoption nécessite la suppression de 13 jours et le 31 janvier 1918 du calendrier julien est suivi du 14 février 1918 dans le nouveau calendrier.

Si le gouvernement bolchevique accepte officiellement ce calendrier, il n'en va pas de même pour l'Église orthodoxe russe qui, fidèle à la tradition, continuera à utiliser l'ancien calendrier julien.

Et s'il n'y avait que l'Église !! Parce que, en 1918, les Russes sont en pleine guerre civile et face aux « Rouges » comme Lénine il y a les « Blancs » comme Kolchak qui continueront à utiliser le calendrier julien après que les « Rouges » bolcheviques aient adopté le calendrier grégorien.

Du coup, comme en France, en Suisse et dans de nombreux pays, l'adoption du calendrier nouveau style va se faire en ordre dispersé. Le décret de réforme va être appliqué immédiatement à Moscou et Saint-Pétersbourg. Mais Omsk attendra la fin octobre 1918 et les Républiques du fin fond de l'Est ne le feront qu'en 1920 au fur et à mesure des défaites des troupes « Blanches ».

Une drôle de semaine de 5 jours

Le calendrier grégorien ayant fini par être accepté pour les usages civils, on se dit que, l'habitude aidant, rien se serait plus changé dans son usage.

Ce fut tout le contraire qui se passa et deux bouleversements successifs concernant la semaine eurent un impact sur le tout nouveau calendrier russe de style grégorien.

Passons rapidement sur une tentative avortée d'introduire un calendrier révolutionnaire comme en France. Selon Toke Norby, cet essai se produisit en 1923.

Le premier bouleversement se produisit en fait en 1929. Eviatar Zerubavel, qui a étudié de près le phénomène nous en raconte les détails dans son livre The Seven Day Circle (The Univresity of Chicago Press, 1985) :

En mai 1929, un économiste, Yrij Larin (1882-1932) propose au cinquième Congrès de l'Union Soviétique de réformer la semaine de travail de 7 jours au profit d'une semaine de production ininterrompue (nepreryvka). Cette proposition ne rencontre pas un succès majeur mais intéresse un certain... Joseph Staline.

L'idée fait rapidement son chemin et ceux qui s'y opposent sont vite traités de « saboteurs bureaucrates contre-révolutionnaires ». Et, le 26 août 1929, par décret, le Conseil des Commissaires du peuple de l'URSS annonce pour le 1 octobre 1929 la prise d'effet d'une « semaine des travailleurs » continue pour toutes les entreprises et bureaux en lieu de place de la semaine traditionnelle discontinue.

Mais... enfin... se disent quelques-uns d'entre vous, quel est donc ce bouleversement, comment se manifeste-t-il et quelles sont les motivations de ceux qui veulent le mettre en œuvre ?

On y arrive, on y arrive mais les choses sont relativement complexes et il convient d'aller lentement si on veut y voir clair.

En 1928, c'est la course massive à l'industrialisation conformément au premier plan quinquennal. Et cette industrialisation passe par une optimisation forcenée de l'utilisation de l'outil de travail. Il faut donc que cet outil fonctionne 7 jours sur 7 et ce n'est pas avec un jour de repos hebdomadaire identique pour tous qu'on va y arriver. Il faut donc faire en sorte que les ouvriers prennent leur jour de repos à des jours différents de la semaine.

Larin était économiste et son « 300 ou 360 ? » doit certainement être interprété comme une question à se poser pour la seule optimisation de l'outil de travail. Il suffisait donc de « dispatcher » les jours de repos hebdomadaires sur les différents jours de la semaine selon une technique à inventer (j'ai l'impression de parler de RTT) pour que le tour soit joué.

Que s'est-il passé ? On ne sait pas trop mais toujours est-il, selon Eviatar Zerubavel, que le 24 septembre 1924, une semaine avant l'application de la nepreryvka, le Conseil des Commissaires du peuple de l'URSS amende le projet du 26 août et y ajoute que la nouvelle semaine sera de... 5 jours avec un jour de repos pendant l'un de ces 5 jours.

Comment les choses se déroulent-elles ?

Le cycle hebdomadaire de 7 jours est remplacé par un cycle de 5 jours sans un même jour de repos « hebdomadaire » pour tous. Les jours de repos sont distribués au petit bonheur la chance, les uns se retrouvant avec le lundi, d'autres avec le mardi, d'autres avec le mercredi… de manière à ce que le travail dans les entreprises ne soit plus interrompu. Chaque jour, 80 % de la population est au travail.

Le résultat est que les ouvriers se retrouvent à travailler en brigades ayant chacune un jour de repos fixe différent. Les jours de la semaine ne portent plus de nom précis (lundi, mardi...) mais seulement un numéro d'ordre comme indiqué dans le tableau ci-dessous.

Pour différencier les brigades, chaque jour est affublé d'une couleur. Du premier au cinquième jour, ces couleurs sont jaune, rose, rouge, violet, vert. Et, comme l'écrit Zerubavel, on voit les gens ajouter la « couleur » de leurs relations dans leur carnet d'adresse pour savoir quand ils ne travaillent pas.

On peut vite constater deux conséquences à ce système qui sont aussi certainement à son origine :

Ajoutons que la réorganisation de la semaine va entraîner celle de la structure annuelle du calendrier qui va se transformer en « calendrier universel » : 12 mois de 30 jours plus 5 (6 les années bissextiles) jours hors mois. Ces 5 jours furent considérés comme des jours de fête et sont les suivants :

Cela veut-il dire que le calendrier grégorien était mort ?

Rien n'est moins sûr. On trouve en effet des exemplaires de la Pravda qui gardent les dates traditionnelles. De plus, comme le signale Toke Norby qui a étudié le phénomène du côté épistolaire, on ne trouve aucune trace d'un cachet de la poste qui utiliserait cette « semaine des travailleurs ». Enfin, on a vu que ce type de calendrier ne concernait qu'une tranche de la population, les ouvriers et les gens du tertiaire.

Mais ce système de semaine de 5 jours qui avait tant plu à Staline portait en lui les germes de sa propre destruction :

- Rassembler 80 % de la population ouvrière le même jour, c'est aussi faire en sorte que 20% de cette population ne fréquente plus les autres 80 %. Plus de réunions communes possibles, plus de continuité dans le travail personnel qui se morcelle puisqu'il faut bien « passer la main » quand on est en repos, difficultés énormes de suivi du travail pour les ouvriers spécialisés. Déresponsabilisation, aussi bien des cadres que des ouvriers, impression d'avoir à « rattraper » les autres au retour du jour de repos.

Même si on invente comme ce fut fait un système bâtard pour les spécialistes et les cadres qui fait qu'ils ne peuvent avoir pour jour de repos que le 2e ou le 4ejour (le troisième servant à « passer le relais »), qu'on réserve les 1er, 3eet 5ejour aux réunions, le système bat sérieusement de l'aile.

Et ce qui devait arriver arrive. Le 23 novembre 1931, un décret publié par le Conseil des Commissaires du peuple de l'URSS suspend le système de semaine de 5 jours. En fait, c'est tout simplement sa mort.

Une drôle de semaine de 6 jours

Après cet échec cuisant de la semaine de 5 jours, va-t-on revenir à la semaine de 7 jours ? Pas du tout !

À partir du 1 décembre 1931 l'Union Soviétique va connaître la semaine de 6 jours comme on peut le voir sur la page de calendrier suivante.

de la Révolution Socialiste
1937 DÉCEMBRE 1937

12
sixième jour de la semaine de six jours

Jour d'élection
au Soviet Suprême
de l'URSS

Bref, le chestidnevki (semaine de 6 jours) va remplacer le nepreryvka.

On va d'abord commencer par revenir à un découpage de l'année telle qu'elle existe dans le calendrier grégorien. Ensuite, on considère que, tout les six jours, il y aura un jour de repos. Les jours n'ont toujours pas de nom et restent numérotés. Les jours de repos sont donc positionnés les 6, 12, 18, 24 et 30 de chaque mois.

Rien n'étant clairement défini, le 31 est soit travaillé soit chômé. Souvent le 1 mars est chômé pour remplacer un 30 février inexistant. Mais il arrive aussi qu'il y ait, à certains endroits, 9 (et même 10 en 1936 et 1940) jours travaillés de suite entre février et mars.

Comme son prédécesseur de 5 jours ce système ne rencontre pas un franc succès et le 26 juin 1940 le Présidium du Soviet Suprême met fin au chestidnevki et revient à la bonne vieille semaine de 7 jours. Il va même jusqu'à rétablir officiellement le dimanche comme jour de repos officiel. L'esprit religieux a gagné.

Cette fois, avec quelques siècles de retard, le calendrier grégorien est bien né en Union Soviétique.

Et, comme le fait fort justement remarquer Eviatar Zerubavel, la population rurale est beaucoup dans le maintien de la semaine de 7 jours. D'abord par défi ; Ensuite parce qu'elle n'étaient pas directement concernée par un système destiné principalement à l'industrie.

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